Julien Joseph Hilaire Édouard Bouliech etait surnomé « Camembert ». A l’époque, il en fallait peu pour que le village vous affecte un sobriquet! Il pouvait être donné par dérision ou moquerie, mais en l’occurrence vous comprendrez par la suite que c’était plutôt par affection!
Ce sacré personnage est né à Montpellier, le 16 juillet 1886. Son père était garçon brasseur, sa mère sans profession. Installé à Sète avec ses parents, Julien y rencontre l’amour de sa vie. Le 26 octobre 1910, il se marie avec Esther Naquet, sétoise d’origine, de 10 ans son aînée. De leur union, née leur fille unique Henriette, le 8 novembre 1914, au tout début de la première guerre mondiale.
Il a la chance de ne pas monter au front, car affecté à la compagnie des chemins de fer du Midi. Homme d’équipe, il participe à la manutention des barriques de vin pour les troupes, chargement et déchargement des trains sur les quais de Sète. Après la « grande guerre », il rejoint sa petite famille à Sète, au 58 Grande Rue Haute et devient marchand ambulant.
En 1924, il s’établit à Béziers, au 11 rue Hospice Saint Joseph, toujours avec la même profession. Puis, en 1931, il s’installe définitivement à Sérignan, rue Gambetta, à proximité de l’ancienne mairie.
Bien des anciens Sérignanais se rappellent encore de lui, avec son allure peu ordinaire, très propre, coiffé d’un grand chapeau, les cheveux longs, avec une longue écharpe noire nouée autour de son cou. Malgré sa petite taille, 1.61m, il avait un sacré charisme, il ne passait pas inaperçu: on pouvait croire qu’il arrivait tout droit de Montmartre, comme un artiste de la belle époque, toujours élégant mais peu fortuné, il était habillé très simplement (photo 1).
Tous les matins, à la première heure, il prenait le tramway à la Promenade, chargé d’un sac à dos et d’un panier, toujours avec son inséparable gros chien. Après 1950, il continuait en prenant le bus, pour se rendre sur le pourtour des halles de Béziers, où il tenait son stand. Au début, autour des Halles de Béziers ou sur la place de la Citadelle, il vendait des saucissons et des camemberts, d’où son surnom de Camembert (photo 2).
Plus tard, emporté par une passion plus captivante, il se recycle dans la vente de livres et devient bouquiniste (photo 3). Il avait réponse à tout dans un français châtié, riche en vocabulaire, poète à ses heures et discret comme les vrais gens intelligents qui ne font pas étalage de leur culture.
Les anciens du village racontent qu’il prêtait avec plaisir des livres aux sérignanais, surtout aux enfants, sans chercher à les vendre. Paulette Bouisset, sérignanaise née en 1928, dit avoir découvert « les Pieds Nickelés » et la lecture, grâce à lui, dans les années 30.
Il fournissait aussi des revues aux écoles qui servaient à faire des découpages d’images, activité précieuse pour les enfant de l’époque. Il était très sympathique et généreux!
Mais une épreuve l’attendait, le 1er février 1952, son épouse décède. Il passera quelques années veuf, avec pour seule consolation, sa fille qui continuera le métier après le décès de son père, le 13 février 1960. Aussi avenante que lui, elle avait de nombreux clients, comme l’écrivait Pierre Guibbert, en 1973, dans une édition appelée « Béziers à la belle époque ».
Voilà, toute la vie de ce sacré personnage, résumée en quelques lignes. Monsieur « Camembert » était petit par sa taille, mais grand par son esprit et sa générosité!