Ou les vendanges à Portiragnes entre 1936 et 1959
Cet article est une contribution des membres de “Portiragnes autrefois”. Merci aux membres (Henriette, Paulette, Gisèle, Mimi, Monique , Louis, Jeannot et Josiane), ainsi qu’à tous les anciens que nous avons sollicité pour des anecdotes ou des photos.
Francis Couradin
Autrefois dans le Languedoc, la vigne était la principale activité et la principale source de revenus autant pour le propriétaire (surtout les gros) que pour les travailleurs agricoles. La plupart des gens vivaient du produit de la vigne.
Les vignobles s’étendaient de la plaine aux garrigues et jusqu’au bord de la mer. Tout au long de l’année, l’activité viticole occupait les hommes et les femmes. Le travail qu’engendrait la vigne rythmait la vie de notre village. Cela commençait par la pré-taille des sarments, puis la taille, le ramassage des buches, les labours, les échaux et enfin les vendanges. Mais entre tous ces travaux il y avait les traitements des souches pour éviter l’oïdium, l’araignée rouge, le mildiou, etc.
Notre récit pour demeurer honnête sépare, lorsque cela est nécessaire, les grandes exploitations de celles des petits propriétaires.
Les vendanges selon le temps commençaient vers la fin août, début septembre. Le premier raisin ramassé était le noir puis venait le raisin blanc. Il n’était pas rare que les vendanges se terminent dans les premiers jours d’octobre, ce qui posait des problèmes pour la rentrée des écoles mais nous en parlerons plus tard.
Les principaux cépages étaient l’alicante, l’aramon, le carignan, le cinsault, le grenache ou le terret (blanc).
Quelques propriétaires grands ou petits, pour leur cave personnelle, faisaient du muscat, du grenache, du cartagène. Ces vins d’exceptions étaient réservés pour les grandes occasions comme les naissances, les mariages et toutes les fêtes de famille.
Organisation des vendanges
L’ensemble des participants à la cueillette du raisin s’appelait “la colle”. Dans les grandes propriétés, celles-ci étaient formées de plusieurs couples (7 personnes ou 8 ). Ils travaillaient en même temps, ce qui représentait un nombre important de personnes. Les petits vignerons employaient un ou deux couples et souvent les membres de la famille participaient au travail. Les enfants âgés de 10 ans étaient autorisés à travailler et très souvent les mamans menaient presque deux rangées de front, car les enfants n’étaient pas aussi dégourdis que les grands ! cela faisait gagner un peu plus de sous à la famille.
Jeannot nous précise qu’enfant, il lui a fallu 3 saisons de vendanges pour s’offrir une bicyclette pour aller… à l’école de Béziers!
Dans chaque colle, il y avait une meneuse qui se tenait à 3 souches devant. En aucun cas il ne fallait la dépasser sous peine de sanction, qui consistait à bombarder avec une “turre” (motte de terre) celui ou celle qui ne respectait pas le règlement. Tout ce petit monde était surveillé par le régisseur ou le patron. La meneuse recevait un salaire de 10% supérieur au salaire en vigueur. Chaque couple était séparé par une allée dans laquelle on faisait un passage, c’est-à-dire qu’on coupait les sarments au plus près de la souche pour éclaircir cet endroit qui recevait les “semals” (comportes).
La dernière coupeuse du couple se retournait sur sa rangée et dans un effet de déploiement quasi militaire chacun prenait sa place, attendant que la meneuse rejoigne sa souche et inversement. Cette courte pause était l’occasion de se désaltérer au cruchon. On versait son seau plein dans la “semal”. Celui-ci était en fer renforcé de bois. Quand il pleuvait, il était alourdi par la “fangue” (la boue) et pesait deux fois plus.
Le “guicheur” lui, avait pour mission de tasser le raisin dans les comportes à l’aide d’une masse. Il enlevait les feuilles qui étaient mélangées au raisin et réalisait un chapeau sur le dessus de la comporte en tassant bien sur les bords (par jeu certains petits malins prenaient plaisir à mettre beaucoup de feuilles, ce qui ne manquait pas de faire râler le quicheur).
Puis deux hommes de préférence de même taille remontaient les comportes pleines vers les charrettes à l’aide de “semaillers” (barres de bois) qui venaient s’encastrer sous les poignées légèrement incurvées à cet effet. Nos deux porteurs hissaient ces lourdes charges dans la charrette légèrement modifiée et rallongée pour en accueillir une douzaine de plus, soigneusement rangées par le conducteur. Les hommes en ce temps là étaient costauds et ne rechignaient pas à la tâche.
La bonne gestion du va et vient des comportes était primordiale pour la rentabilité (oui déjà), il devait toujours y en avoir à l’avance des vides pour éviter que la colle ne soit au repos forcé!
Une hiérarchie s’établissait d’elle-même, les plus vieux “guichaient”, les plus robustes portaient les lourdes charges…
La récolte prenait le chemin de la cave ou plus tard de la coopérative. Il n’était pas rare de voir 3 ou 4 attelages dans les rues de Portiragnes ou devant la coopérative attendant leur tour pour vider la précieuse cargaison de raisins.
Ces va et vient de charrettes donnaient une vive animation dans le village qui, pendant un mois ou deux embaumait le crottin de cheval. Rien ne se perdait ce crottin qu’on appelait aussi les “pêtes”, faisait un excellent engrais pour les légumes et les fleurs. Pour la vigne on utilisait aussi de l’engrais naturel surtout du “guano”. A Cers une usine fabriquait ce produit.
Chez le particulier, avant de décharger le raisin, on dételait le cheval de la charrette. Il fallait hisser chaque comporte au dessus des grandes cuves de stockage. Le hissage se faisait à l’aide d’une poulie placée au dessus de l’entrée de la cave. Le cheval tirait la corde. Le reste du raisin, dont le volume n’était pas assez important pour remplir une cuve complète, était placé dans une réserve plus modeste ou dans un fut de chêne.
Les vendanges à cette époque durait plus d’un mois et les jeunes, malgré le mal de dos et la fatigue n’hésitaient pas à participer le soir à la fête menée par les espagnols qui, en général, étaient de bons danseurs au son de l’accordéon d’Émile Serano. Il fallait recommencer une longue et dure journée le lendemain.
Pourtant la cueillette se passait dans une ambiance bon enfant, la bonne humeur était de mise, tout était prétexte à la rigolade, on papotait, on chantait, on riait. On allait se soulager à deux pas derrière une souche et il n’était pas rare de se trouver nez à nez avec une collègue. On se “frottait” avec une feuille de vigne!
Quand on oubliait une grappe sur la souche les hommes en profitaient pour “capouner” surtout les jeunes filles (c’est-à-dire qu’ils les embrassaient ou bien leur lavaient la figure avec le raisin oublié). La jeune fille par jeu s’enfuyait dans les rangées pour échapper à la punition.
Lorsque l’on se coupait avec le sécateur on disait qu’on avait marqué la journée.
Le rituel des vendanges, c’était:
- Le matin (vers 9 h) déjeuner.
- A midi on ouvrait la “saquette” et l’on dinait à l’ombre, puis on se reposait sous une souche pendant une heure. Tandis que les jeunes profitaient de cette courte sieste pour jouer au jeu de la sandale.
- Le souper le soir chez soi vers 20 heures.
Le principal menu était l’alincade (sardine salée sèche), tomates et fromages. La boisson pour les femmes et les enfants était l’eau qu’on mettait dans un cruchon en terre et qui était souvent tiède. Les hommes eux buvaient du vin à la régalade!
Les femmes, les plus âgées portaient la tenue traditionnelle avec la coiffe (la caline), les manchons et le tablier de toile de jute comme Maria Morère ou Lucie Fourès née Azaïs.
Les salaires étaient fixés par un arrêté mais ils n’étaient pas bien lourds.
Dans les petites colles, le dernier jour, le patron offrait à ses employés le goûter (Soulangue), plutôt sucré.
Les hommes se faisaient farcir avec des feuilles de vignes. La victime se débattait on le maintenait fermement à plusieurs et on glissait malicieusement des feuilles dans son pantalon et dans sa chemise. La plus audacieuse s’aventurait même jusqu’à la braguette.
La charrette était décorée de sarments feuillus, et l’on rentrait au village joyeusement en chantant, ce qui marquait la fin des vendanges.
Après les vendanges venait le « grappillage », on ramassait les raisins qui avaient été oubliés de même que les “broutignes” vertes qui avaient muri entre temps. Le grappillage commençait avant l’ouverture de la chasse et sur ordre donné par le propriétaire de la vigne.
À la cave
Ensuite le caviste entre en scène, pour les grandes exploitations, ou le patron suivait la fermentation des raisins. Véritable maitre en la matière, le vinificateur est capable de dire si le vin est assez fermenté ou s’il faut attendre un jour ou deux, voire si le vin sera piqué!
La présurée du raisin à la main dans le pressoir consistait à presser les grappes de raisins à l’aide d’une longue barre et à chaque clic on repartait d’un cran en arrière, ce clic clac clic clac sonne encore aux oreilles de nos anciens.
Le vin était mis en vente rapidement par lot (cuve complète) à des courtiers comme Fourès, Doumet et Gastou (le dernier).
Mr Aïn a été un précurseur de la vente au détail. Il avait une petite exploitation de 400hl environ. Cette vente était plus rentable mais bien plus contraignante: il «tirait» 12 hl à la fois et il devait vendre sur un autre lieu que sa cave. Le particulier qui achetait moins de 100 litres recevait un acquit (laisser passer). Les grosses quantités étaient déclarées à la régie (chez Gastou).
Le travail à la cave commençait bien avant les vendanges avec le travail du tonnelier qui remettait les comportes (en bois) et les futs en bon état. A Portiragnes c’était Mr Jaoul de Villeneuve-lès-Béziers qui réalisait ce travail.
Devant chaque cave les comportes de bois étaient empilées pour les “estanquer” (arroser) pour en assurer l’étanchéité. A l’aide de seaux, ce travail se faisait à la main , l’eau courante n’existait pas.
De leur côté les femmes allaient à la ville faire des provisions, un jambon entier principalement.
La distillerie
Que faire de cette “raque” de raisin après l’avoir pressurisée, que peut-on encore en tirer???
En 1929, il se créa sur Portiragnes une coopérative de distillerie à l’entrée du village qui fermera en 1949 au moment de la création de la cave coopérative. Comme nous l’avons souligné plus haut, les grappes de raisins étaient dépouillées de leurs jus, il ne restait qu’une espèce de grappe toute dénaturée. Que ce soit en couleur ou en odeur toutes les grappes se ressemblaient avec leur couleur “lie de vin”.
Tout près des caves particulières se trouvaient des amas de cette matière. Lorsqu’il y en avait suffisamment, cette raque était chargée sur une charrette direction la distillerie. Un agent pesait le convoi sur une immense bascule pouvant contenir ces longs attelages de plusieurs tonnes. Puis le nom du propriétaire était inscrit sur un registre avec le poids du chargement. L’agent prélevait un échantillon pour analyser son taux d’alcool. Quand tout était déchargé, la charrette repassait sur la bascule pour en déduire la tare. Le taux d’alcool était soigneusement enregistré sur un grand registre afin de récupérer sa valeur d’eau de vie en conséquence.
Les employés de la distillerie garnissaient les alambics, puis dans un grand récipient, on chauffait de l’eau qui circulait dans des canalisations en cuivre. La vapeur d’eau passait sur la « raque », qui une fois refroidie donnait de l’alcool à 90°.
Ce précieux breuvage était mis en futs de chêne.
L’ensemble de ces opérations duraient un bon mois, entre le vin nouveau et la distillerie une odeur à la fois de vin et d’automne nous envahissait.
Le droit par famille était de distiller 1000°, soit 16 bouteilles de fines et 5 litres d’alcool . Dommage que les nouvelles générations ne puisse profiter de ce droit.
Le travail de la vigne
Après les vendanges les vignes étaient le territoire des chasseurs puis avant les premières gelées l’heure d’”espoudasser” (pré-taille) arrivait…
Julien me racontait que la taille manuelle était tout un art délicat, qui demandait plusieurs mois d’apprentissage. La première taille se faisant en rond pour faciliter le sulfatage en un seul jet, puis il fallait d’un seul coup d’œil reconnaitre le sarment porteur de fruits de celui qui n’en aurait pas!
L’hiver demandait un millier de fagots pour chauffer une maison, plus la part du boulanger.
Les femmes ramassaient les sarments dans les vignes, qu’elles rassemblaient en “gabels”. Ces “gabels” étaient entassés dans les cours en “cabalets” qu’il fallait surveiller car les moins vaillants préféraient les voler plutôt que les ramasser.
Venait ensuite le temps du labour avec les chevaux, l’arrivée des tracteurs rendit ce travail moins pittoresque mais tellement moins pénible.
Il nous faut dire un mot sur les hommes en bleu. Au moment du sulfatage pour lutter contre le mildiou, on répandait régulièrement sur les feuilles de vignes du sulfate de cuivre (tous les 14 jours). Pour ce travail pénible les travailleurs revêtaient une tenue qui prenait la couleur bleue du sulfate.
Sans oublier la lutte contre l’Odium au soufre (tous les 35 jours) découvert par Duchartre (célèbre botaniste de l’Académie des sciences) natif de Portiragnes le 27 octobre 1810 avec deux autres botanistes (Planchon et Millardet).
A cette époque les propriétés sur Portiragnes s’appelaient :
- La Prade
- La Tour de L’Orb
- la Tour Saint-André
- La Kabylie
- Roque Haute
- Roque Basse
- Etc…