Sérignan/Valras : les différentes pêches au siècle dernier

Jean-Pierre Lagarde, Pierrot pour tous (photo 1), est un Valrassien né en mars 1933, peu de temps après “l’indépendance” du village. Sa mère était une fille Bouzigue, issue d’une famille de 11 enfants (2 garçons et 9 filles). Dès l’âge de 14 ans son père l’inscrit au rôle de la prud’homie des pêcheurs, à une époque où près de 360 “Sérignano-Valrassiens” pratiquaient le métier. Aujourd’hui, il ne reste que 5 ou 6 familles!

Photo 1 – Jean-Pierre “Pierrot” Lagarde

Son voisin Étienne Trébillac le surnommait “lou quiou” (le petit). Pierrot a passé sa vie à voguer sur les catalanes, voiliers conçus spécialement pour s’adapter aux conditions de notre coin de mer. Il y en avait une centaine d’amarrée à l’embouchure (photo 3). Aujourd’hui il n’en reste qu’une, “la Pierrette”. Les chalutiers ont disparu! Pierrot a donné sa catalane, “la Savoie” à la ville, laquelle l’a offerte à Collioure.

Photo 2 – Préparation des filets
Photo 3 – Les catalanes

L’hiver, il était ouvrier-vigneron, comme la plupart des pêcheurs, dans la propriété “Palazzi”. Aujourd’hui, il est “LA Figure valrassienne”! Celui qui sait et raconte si bien la pêche d’autrefois. Oui! Il raconte à merveille ce qu’il a vécu, grâce à une mémoire colossale et un dialecte imagé, mêlé d’occitan.

À la rivière ou l’étang

  • Le globe: 2 barres plantées et un filet qui barre la rivière. Se pratiquait toute l’année, de jour ou de nuit. Un jour, Étienne Sauzet, dit “L’Anglésou”, a attrapé un thon… à proxi-mité de l’église!
  • Le globet: en barque, un mât vertical porte une barre basculante au bout de laquelle une corde équipée d’une nasse, un carrelet, plonge dans l’eau.
  • La battue: Un filet tendu entre les berges pendant la nuit: on battait l’eau pour affoler les poissons qui se prenaient dans le filet
  • La pêche à l’anguille: la gabia1, avec le ganguis (filet), que l’on pose le soir et on lève le matin. Tenu par des barres de bois plantées, dites “partégous”. Identique à “La Capéchade” en mer.
  • La virounade: après un orage, quand l’eau est trouble. On enfilait des vers de terre le long d’un crin pour former une pelote, grosse comme une balle de tennis. Sans bouger, à la verticale de la barque, ou en bord de rivière, on immobilisait la ligne. Les anguilles venaient mordre et on relevait rapidement. Sachant que l’anguille tarde à lâcher sa proie, elle tombait à l’intérieur de la barque, ou dans l’épuisette ou le parapluie renversé, déployé pour l’occasion. L’histoire dit qu’une fois, la famille Sauzet, attrapa 100 kg d’anguilles en une seule matinée de pêche.
  • La chasca, est une sorte de râteau plat à dents longues qui sert à harponner les plies et les carrelets, par peu de fond et en eau trouble.
  • La fouine, avec 3 ou 4 dents, servait à piquer les loups dans les basses eaux: sorte de harpon, « la fichouira ».
  • La pêche au bœuf: 2 bateaux et un filet tendu entre eux. Les bateaux naviguent en bordure en remontant ensemble la rivière. Le filet forme une poche qui recueille les poissons au passage, façon chalutier. Cette pêche fut interdite par Louis XIV, car trop fructueuse. Déjà, le souci de la protection des espèces existait! Elle a pu aussi se pratiquer en mer.

En mer

Photo 4 – La traine
Photo 5 – La pêche au traï
  • La traîne: d’avril à octobre, un grand filet posé au loin (photo en bandeau) puis tiré par les 2 bouts depuis la plage (photo 4). Le tri et le partage du poisson se faisaient sur le sable (photo 7). Outre la paye, chacun (5 hommes et 15 femmes) emportait une récompense proportionnelle à la quantité de poissons attrapés. Ce partage s’appelait “la Payroulade”. Le patron prenait 3 parts, les autres emportaient le reste à parts égales.
  • Le trémail: du printemps à l’automne, filet posé le soir et relevé le matin.
  • Le traï: D’avril à octobre. Avec des tangons pour le maquereau: 2 longues barres de bois fixées perpendiculairement de chaque côté du bateau, sur lesquelles des lignes (4 en général) de quelque 15 à 20 m de long, sont fixées et traînaient en avançant lentement Il n’est pas rare d’attraper plusieurs maquereaux à la fois lorsqu’on surplombe un banc (photo 5).
  • La thonaine: en mars. Elle reprenait après l’été l’eau étant plus fraîche. En août, plus présent quand l’eau étant chaude et lors des nuits obscures, on pêchait le requin-renard et le requin-sabre, lequel assommait les sardines en fouettant l’eau avec sa longue queue avant de les dévorer.
  • Le sardinal ou sardinao: d’avril à novembre. Lorsque les marsouins étaient présents, la pêche était impossible. Il est arrivé de les faire fuir en les tirant au fusil… ou au pétard “girondin” (explosif): pratique interdite bien sûr! Les filets très abîmés étaient amenés à l’école spéciale de réparation à Collioure. Sinon ils étaient remis en état par les familles (photo 6: Joseph Soutier et Estelle Baby).
  • Le véradier: au printemps. On posait les filets à mailles fines en surface pour attraper des maquereaux. Les filets étaient relevés toutes les 2 ou 3 heures. En août, on plaçait à la surface du filet des pierres du Crès attachées entre elles pour pêcher plus profond car le maquereau préfère l’eau plus fraîche.
Photo 6 : Joseph Soutier et Estelle Baby reprisent les filets
Photo 7 : le tri du poisson
  • Le ténillat: à pied, en bord de plage, avec un râteau équipé d’un filet pour récupérer les tenilles, ou télines (coquillage bivalve proche de la clovisse, dit « haricot de mer »). (Photo 8)
  • Les palangres: corde avec plusieurs hameçons pour pêcher le requin gris (la missole, ou émissole), la roussette, la raie et le congre au-dessus du rocher de Saint Pierre.
  • Le lamparo: de grosses et puissantes lampes se trouvaient à l’arrière du bateau pour éclairer l’eau et attirer les sardines. De très grosses prises permettaient aux pêcheurs de servir l’usine de conserves, disparue aujourd’hui.
  • Le brumet: juillet et août. Au rocher de Saint Pierre-la-mer, à “la cauma”, 20 à 30 bateaux placés en cercle, pêchent, surtout le gros maquereau. Immobile, en silence (“calma”) des boules de sable contenant de la mélette étaient jetées dans l’eau. En descendant, le sable tombait, la mélette remontait attirant les maquereaux en surface.
  • La capechade: avec le trabacou (filet à cerceaux), tenu par des partégous (barres de bois), encré au fond, relevé le matin.
  • Le thon: À l’époque, il se prenait 5 à 6 thons à chaque sortie, de 10 à 30 kg chacun en moyenne (photo 10), 200 au total en saison. Plus tard, avec les gros bateaux, jusqu’à 80 tonnes! Pas étonnant qu’aujourd’hui, une stricte régulation soit mise en place pour limiter les captures afin de protéger l’espèce!
Photo 8: pêche au ténillat
Pêche 9: langoustes et homards!
Photo 10: la pêche au thon

Mais il est aussi possible toute l’année de capturer langoustes et homards (photo 9): 50 à 60 par an, à l’aide de vieux filets sacrifiés, posés sur le rocher, pendant 2 ou 3 jours. Ces prises étaient réservées aux grands repas de famille, mariages, communions et fête de la Saint Pierre.

Notes

  1. Rappelons que le “a” final des mots occitans se prononce “ô”.

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