Dans les années 50 à l’époque où la plage de la Redoute était encore à nous les Portiragnais, le luxe était d’aller passer le dimanche à la mer.
A l’aurore de cette journée qui s’annonçait belle, les hommes attelaient le cheval à la charrette, secouaient les bourras, prévoyaient le fourrage pour les bêtes, tandis que les femmes remplissaient les paniers de victuailles, pommes de terre, œufs bouillis, tomates, sardines à l’huile et du pain frais car on ne faisait que peu de grillades en ce temps-là !
Les enfants s’entassaient dans les charrettes avec des seaux, des pelles et de vieilles chambres à air qui leur servaient de bouée. Toutes les familles se regroupaient à la sortie du village et lentement à la queue leu leu direction la plage. Il n’y avait pas de dépassement. Les moins chanceux ou les plus courageux allaient à pied.
Sur le coup des neuf heures on atteignait le pont qui franchit le Canal (le pont de Roque Haute était bien plus étroit qu’aujourd’hui, juste la largeur de la charrette).
La route prenait fin au début de l’Allée des muriers (disparue de nos jours), au rond-point de la Tour Saint André et la Tour de l’Orb.
Les derniers cinq cents mètres se faisaient à pied en poussant la charrette qui s’enfonçait profondément dans le sable.
Tout suant et essoufflé on atteignait enfin notre plage de sable fin, hérissée de pyramides. Chaque groupe cherchait une place pour s’installer, ce qui n’était pas difficile : le rivage était désert !
Nos hommes dételaient les chevaux, les nourrissaient. Ils creusaient ensuite un trou au bord de l’eau pour plonger les bouteilles attachées par une ficelle afin de les garder au frais (le luxe était la bouteille de limonade).
Les femmes, à l’ombre des bourras, préparaient les salades et les assiettes. Les enfants étaient depuis longtemps dans l’eau ou bien fabriquaient de beaux châteaux de sable qu’ils détruisaient au moment de partir.
A midi, on dinait. Il n’était pas rare de s’interpeller :
« Vous voulez une tomate? »
« Oui merci. »
« Goûtez les abricots de mon jardin ! »
« Antoine ! Comment tu le trouves mon vin ? »
« Pas mal, pas mal ! Té, sers moi en un autre verre ! »
Le repas, convivial, servait de prétexte à raconter des grosses blagues, quelquefois un peu grivoises, le vin et la chaleur aidant.
Les gamins, dans leur maillot de bain tricoté en laine, qui leur retombait à la cheville dès qu’ils sortaient de l’eau, venaient s’ébrouer auprès des parents et remplissaient les assiettes de sable. Et l’on riait ! Ah ! Ah !
Le cheval aussi avait droit à son bain, il se séchait ensuite dans les hautes dunes qui étaient magnifiques. A deux heures, quand le soleil tapait fort, les hommes s’allongeaient sur le sable chaud et faisaient une longue sieste. Les femmes se rapprochaient pour papoter, un ouvrage de tricot dans leurs doigts, tout en surveillant leur progéniture qui « s’estranscinait » la peau à rester trop longtemps dans l’eau. Les plus grands jouaient à dévaler la grande dune près du Libron, malheureusement détruite aujourd’hui.
Les moustiques étaient également de la fête et il n’était pas rare de rentrer chez soi avec des cloques sur tout le corps malgré le « Nopic »!
Vers six heures, il fallait songer à rentrer, à replier les bourras. On rechargeait tout dans les charrettes sans oublier d’enterrer les restes du repas dans le sable et de gronder un peu les enfants pour qu’ils quittent les vagues. Il fallait refaire en sens inverse le périple Allée des muriers. Les yeux étaient moins pétillants, l’allure moins rapide, les joues plus rouges. Le soleil se couchait, la nuit ne tarderait pas à venir. L’éclairage n’existait pas à la Redoute plage.
En semaine l’endroit était désert. Sauf peut être derrière les pyramides refuge des amoureux. Si les pyramides pouvaient parler ! Mais là chuuuut…
Quelques années plus tard les dunes furent peuplées de baraques ou de vieux wagons en bois venus de Béziers, nous ne savons comment ? Chacun se sentait un peu propriétaire et faisait durer les vacances plus longtemps.
Pedro avait une baraque en roseaux où l’on pouvait danser sur les airs d’accordéon d’Emile Serano. Plus tard Monsieur Alfred Gil fit construire une maison basse où l’on dansait le soir et qui est devenu l’Hôtel-Restaurant Le Mirador.
Mais hélas, au milieu des années 60, le tribunal ordonna la démolition de toutes les baraques. Tout comme le camping les Sablons situé sur le territoire de Vias, Gilles Roucayrol possédait une vigne, il y construisit sa maison où il réside encore aujourd’hui.
Seules deux familles de pêcheurs, les Bousquet et les Cazals furent autorisées à résider sur place pour exercer leur métier de la pêche à la traine.
Les filets étaient déposés en mer le soir ou au petit matin vers quatre heures. Un peu plus tard, les hommes, le bas du pantalon relevé jusqu’aux genoux « traînaient » le filet en scandant leurs efforts de « Hé hop, hé hop ».
Celui-ci remontait lentement en cercle et à la clarté de la lune on apercevait le scintillement des premiers poissons frétillants. L’âne aidait à la tâche.
Plus tard le treuil, puis le moteur diesel soulagera le travail des hommes.
De nos jours, l’été, notre plage de La Redoute devenue Portiragnes plage fourmille de monde, venu des quatre coins de France et d’ailleurs. La mer est à tout le monde mais elle n’est plus à nous !
Il nous reste les souvenirs de ces beaux dimanche d’autrefois au goût nostalgique d’amitié et de convivialité.
Pour finir, une anecdote que racontait « Sans Cannelle », le grand-père de Gisèle à qui l’on reprochait de ne pas se laver souvent :