Sérignan en 1776 (étude du compoix)


Introduction

C’était le temps où, pour se protéger des guerres, des brigands et des pirates barbaresques, villes et villages du midi s’étaient entourés de murailles. Sérignan avait fait de même.

Peut être qu’alors notre « village » sur une surface d’environ 3,5 hectares ressemblait à cela :

  1. Porte Notre Seigneur
  2. Porte Notre Dame
  3. Château (noble)
  4. Ancien château
  5. Jardin du château
  6. Four banal
  7. Caserne et école
  8. Chapelle des pénitents
  9. Colombier (emplacement supposé)
  10. Glacière (emplacement supposé)
  11. Place couverte

C’était le temps où les plans n’existaient pas. Ce n’est que sous Napoléon (1830) que fut dressé le premier. Par contre existait le compoix qui lui, situait chaque parcelle (par rapport à ses voisins, à un chemin ou à la rivière).

A quoi servait et comment fonctionnait un compoix?

La rédaction du compoix

Lorsqu’au XVème siècle il a fallu répartir les impôts entre tous les habitants des paroisses, dans les régions de langue occitane, a été créé le compoix (compoids, compois). Il s’agit d’une sorte de cadastre, grand livre dans lequel tous les propriétaires sont inscrits avec la description, la localisation et la valeur de chaque parcelle (que l’on pourrait comparer à la valeur locative actuelle).

La communauté de Sérignan elle aussi a fait rédiger son compoix.

Les archives de la commune en conservent deux. A cause de son très mauvais état le plus ancien est quasiment inexploitable . Il l’était déjà quand le 20 avril 1759 fut exposé au conseil général (réunion des habitants) « que son compoix était en très mauvais état et en désordre, en partie rongé et déchiré par vétusté…« .

Il fut alors décidé d’en faire un neuf. Si la décision était rapide à prendre, la réalisation était plus longue et compliquée.

Il fallut d’abord le 12 juillet 1761 donner pouvoir aux consuls d’entreprendre les démarches auprès de la cour des comptes aides et finances, puis des commissaires de l’assiette du diocèse pour obtenir les autorisations et finances nécessaires.

Les moyens financiers obtenus, ce fut en 1762 la nomination des exécutants :

  • Pierre Dardé, notaire royal à Villeneuve, syndic représentant les habitants forains (étrangers à Sérignan),
  • Pierre Lamouroux et Jacques Bellabal, indicateurs,
  • les sieurs Sahuc et Garrigues, bourgeois de Vendres, prud’hommes experts.

A chacun, pouvoir est donné, par rapport à ses fonctions « d’en indiquer et estimer chaque possession et héritage, rentes et autres de cette nature sur le pied…« .

Sont ensuite fixées comment seront estimée les terres et maisons: « qu’il est fait trois degrés différents de qualité de tous les fonds scavoir du bon, du moyen et du faible, chaque degré est subdivisé de trois autres degrés afin de garder plus d’égalité…« , etc….

Enfin, par enchères et pour la somme de 3950 livres, le sieur Etienne Cayre fut chargé de faire le compoix.

Le 27 décembre 1769 les sieurs Sahuc et Garrigues remettent aux consuls le résultat de leurs travaux. Ces travaux seront ensuite transcrits dans une minute soumise à l’avis des habitants.

Procédure très utile car en 1770 Mme de Poulpry, seigneuresse de Sérignan, fait remarquer que ses terres nobles ne sont pas enregistrées comme telles. Omission volontaire de la communauté? Sachant que les terres nobles sont exemptes de la taille, même si comme nous le verrons, la surface de terres nobles n’est pas très importante et l’économie faite par Mme de Poulpry minime par rapport au revenu du reste de ses propriétés, il fallait respecter le droit.

Finalement, il sera rédigé et mis au net en 1776.

Le contenu du compoix

Au-delà de son rôle de cadastre, ce document va nous apporter beaucoup sur la compréhension de la vie de notre village quelques années avant la Révolution.

Y sont inscrits 435 contribuables :

  • 334 sérignanais
  • 105 forains (qui possèdent des terres à Sérignan mais ne sont pas sérignanais):
    • 69 villeneuvois
    • 23 biterrois
    • 6 sauviannais
    • 2 cersois
    • 3 agathois
    • 1 saint-thyberien
    • 1 toulonnais
    • 1 servianais

Il peut s’agir :

  • d’une personnes physique, par exemple : Guillaume Pourquier notaire
  • de plusieurs personnes physiques, par exemple :
    • les hers (héritiers) de Pierre Garenc
    • demoiselles Claire et Anne Brousse, sœurs
  • de personnes morale, par exemple :
    • la communauté de Sérignan qui possédait : 1 maison servant de caserne et d’école, 1 maison et place couverte, 1 maison et jardin (presbytère), 1 chapelle (ermitage), 1 maison, 2 patus (cours intérieures), 3 champs, 15 hermes
    • le chapitre de Sérignan : 1 olivette, 4 champs
    • la chapelle Saint-Sébastien : 3 champs, 1 ferratjal (champ pour le fourrage)
    • la chapelle notre seigneur : 1 champ
    • la chapelle notre dame de pitié : 2 champs
    • la confrérie notre dame de Sérignan : 1 champ
    • la confrérie notre seigneur : 1 maison et patus (petite cour intérieure)
    • l’oeuvre de l’église de Sérignan : 1 champ
    • l’hôpital de Sérignan: 1 olivette, 1 pré, 6 champs, 2 fératjals
    • le bassin du purgatoire : 1 olivette, 1 champ

Quelquefois, le compoix mentionne le métier ou la position sociale :

  • Jean Brousse, bourgeois
  • Jean Jacques Brousse, avocat en parlement
  • Blaise Crouzat, tonnelier
  • Denis Crouzat, revendeur
  • Guillaume Dejammes Paradis, ancien capitaine d’infanterie
  • Jullien Dejammes, chanoine
  • Etienne Henric, chanoine
  • Guillaume Pourquier, notaire
  • Jean jacques de Thomières, officier de cavalerie
  • Pierre Tarbouriech, maréchal
  • Guillaume Veloussiere, maître chirurgien
  • Jean Pierre Bouisset, cordonnier
  • Denis Crouzat, boulanger
  • Jean Courtier pasteur, berger
  • Aphrodise Dejammes, ancien officier
  • Guillaume Dejammes Laterrasse, ancien officier
  • Pierre Doumayrou, matelot
  • Jean Pierre Ninau, chirurgien
  • Jean Pomier, cordonnier
  • Guillaume de Thomières d’orbpellières, officier d’infanterie
  • Guillaume Tourbouillet, pasteur
  • Louis Valessie, bourgeois
  • Guillaume Vidal, pasteur

Pour les autres propriétaires, la profession n’est pas indiquée, étaient-ils brassiers (qui louent leurs bras- qui travaillent pour les autres)? Je ne sais pas.

Les surnoms sont mentionnés:

  • Jacques Fabre vieux dit « cacou »
  • Jean Fabre vieux dit « jaquet »
  • Pierre Fabre dit « labeille »
  • Jean Fabre dit « perdigal »
  • Guillaume Herail dit « gaches »
  • Jean Fabre jeune dit « cacou »
  • Jean Fabre dit « lou camia »
  • Pierre Fabre vieux dit « mascot »
  • Pierre Garenc dit « quinquil »
  • Pierre Lamouroux fils de Jean dit « bourbon »

Le calcul des impôts

A chaque bien était attribuée une valeur en livre, sol et denier qui servira de base pour calculer la part de taille. Contrairement à une idée reçue, les nobles payaient l’impôt, mais uniquement sur les biens roturiers.

  • ainsi le seigneur de Sérignan était le plus gros contribuable (base 532 L 19 s 9 d 1/4).
  • de même pour les ecclésiastiques. Par exemple : Antoine François Raymond de Barthélémy, prieur de Saint André d’Aigues-Vives, chanoine de l’église cathédrale de Béziers (base 104 L 17 s 2 d ).

Pour évaluer ces biens, il a fallu les mesurer, calculer leur surface avec les mesures pratiquées dans le biterrois.

Les terres agricoles sont mesurées en :

  • sétérées : 2460 m2
  • punières : 150 m2
  • dextres : 20m2

Les punières étaient quelquefois divisées en 1 ou 2 tiers, un, deux ou trois quarts. Pour les calculs qui vont suivre je n’ai pas tenu compte des dextres puis j’ai converti en m2.

Les immeubles, cours et patus (cour intérieure) sont mesurés en :

  • cannes carrées : 3,84 m2
  • pans carrés : 0,06m2

L’inventaire des terres agricoles

C’était le temps où, le matin, les sérignanais attendaient que les portes des murailles soient ouvertes pour aller faire leur journée dans les champs et les vignes. La vie économique du village, à cette époque était essentiellement agricole.

Dans notre terroir, la superficie totale des terres agricoles cultivées était en 1776 d’environ 2237 hectares, 60 ares et 77 centiares.

  • Les champs occupaient la plus grande partie des sols soit 1575ha 9a et 67ca. On y cultivait surtout le blé, le seigle et l’orge (la salicorne était aussi cultivée et utilisée pour faire du savon de Marseille ou du verre).
  • Venaient ensuite les vignes: 390ha 8a et 40ca.
  • Puis les hermes (terrains incultes) 152ha 70a et 60ca. Ils servaient certainement de pâture pour les troupeaux de moutons.
  • Les olivettes (oliveraies) occupaient 42ha 12a.
  • Il y avait aussi des pièces de terre dont l’utilisation n’est pas indiquée: 32ha 11a 65ca
  • Les ferratjals (champs pour le fourrage) couvraient 11ha 72a 10ca.
  • Les prés : 10ha 58a 40ca.
  • Les jardins 4ha 18a et 20ca.
  • Les devois (champ ou bois où les bêtes ne pouvaient pas pâturer de mars à septembre) : 14ha 76a
  • Les joncasses (terres où poussaient les joncs)
  • On pourrait y ajouter
    • un bois de 2460 m2 situé à Patau
    • une île d’environ 6 sétérées « complantée d’arbres » que l’on pourrait situer actuellement à la base nautique de la rive gauche. Ces deux biens étaient nobles.

Il existait 4 métairies (ensemble de bâtiments et de terres voués à l’agriculture et occupé par un métayer et sa famille) qui étaient disséminées dans le terroir:

  • Orbcastel, appartenant à Guillaume Roque. Elle se trouvait peut être vers la rue Piazza, impasse des Tamaris. La famille Roque se fera appeler Roque d’Orbcastel.
  • Saint-Geniès, appartenant à Antoine François Raymond de Barthélémy, prieur de Saint André d’Aigues Vives, chanoine de l’église cathédrale de Béziers (base 104 L 17 s 2 d ).
  • La Doumergue, appartenant en bien propre, donc payant la taille, à Mme de Poulpry. Elle se trouvait à l’emplacement de l’ancienne distillerie en face du pont rouge.
  • Valras, appartenant également en bien propre à Mme de Poulpry. Située à l’ouest du chemin de la Galine et du rec de Guitou.

La journée terminée, il fallait le soir rentrer avant la fermeture des portes.

L’inventaire des bâtiments du village

L’activité religieuse, de par la situation de la collégiale, se passait hors des murs. Cette collégiale, propriété de l’Eglise n’étant pas soumise à la taille ne figure pas dans le compoix à l’inverse de la cure (presbytère) appartenant à la communauté.

En dehors des murs existait un faubourg:

  • Dans un îlot compris entre les actuelles rue Valessie, rue du 11 novembre et le boulevard Victor Hugo se trouvaient deux parcelles importantes appartenant:
    • Aux R-P Bénédictins de St Thibery : maison + basse-cour + écurie + patus le tout 460m2
    • A Dejammes Pierre Aphrodise : maison + cour + écurie + autre maison (attenante) le tout 561m2
  • Imbriquées dans cet ensemble 3 maisons, une écurie et un sol avec creux à fumier.
  • Disséminées aux alentours de l’église, 3 maisons et 1 maison vers le chemin de la rouvière (actuellement rue Piazza).

La glacière appartenant à Reboulet Marguerite y est aussi identifiée. La glacière était une construction en pierre, aux murs épais dans laquelle l’hiver était entassée et tassée de la neige. Les aliments à conserver y étaient mis comme dans un réfrigérateur. Elle semble avoir été située à proximité de l’ancien château.

Est aussi relevé un colombier, propriété de demoiselle Marie Reboulet, veuve de Jean Gabriel Guy près de l’Orb et deux écuries.

La communauté possédait aussi l’ermitage et sa chapelle, le tout de 23 cannes carrées.

Les habitants logeaient dans 244 maisons. Le plan des rues de l’époque était certainement le même que celui du centre historique actuel (voir plan en t^te d’article). Sauf pour la grand-rue (actuellement rue Lamartine) les rues n’avaient pas de nom: elles étaient mentionnées rue ou rue publique. Plus petites elles étaient nommées ruelles, et plus petites encore « endrounes ». L’impasse était une « rue cul de sac ».

Disséminées dans le village :

  • 79 écuries
  • 1 casal (petite remise)
  • 3 tinérals (caves)
  • 4 celliers
  • 37 cours pouvant desservir plusieurs maisons
  • 35 patus (petites cours intérieures).

Certaines maisons avaient une fonction particulière :

  • Un bûcher-boutique un four (four banal) une boulangerie (biens nobles).
  • Une maison appartenant à la communauté sert de caserne (pour 4 ou 5 militaires logés l’hiver) et d’école : 76c 3p (292m2).
  • 1 chapelle (pénitents ne servant pas pour le culte)
  • 1e château (noble)
  • 1 ancien château (roturier dans lequel est le moulin à huile)

Il s’agit là d’une photographie des biens en un instant donné et que tous ont été susceptibles de changer de propriétaire. Ces changements seront notés dans un registre : la brevette.

Le compoix et la brevette sont consultables par internet aux archives départementales de l’Hérault.

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