Portiragnes : le carnaval

Parmi les transmissions orales des nombreux souvenirs du village, les fêtes, et surtout les Carnavals de Portiragnes figurent en bonne place. Chaque ancien ayant une ou plusieurs anecdotes à nous raconter, et c’est tant mieux car aujourd’hui à Portiragnes ces fêtes n’existent plus.

L’après guerre et le début des années 1950 marqueront les meilleurs souvenirs des carnavals traditionnels du village.
Celui ci se poursuivait durant tout février. Dans les premiers jours du mois, le décor était campé, sous la forme d’un arbre planté sur la placette devant M. Vidal (place de la mairie). Il était décoré de tout un assortiment hétéroclite, vieilles casseroles, chiffons, bouteilles, pots de fleurs, castagnières rouillées, etc.,etc.

Il était le point de mire, prometteur de bons moments de rigolade à venir.

Le 1er dimanche tout le village était avide de réjouissance, les enfants s’agglutinaient sur la place de la mairie. Des organisateurs, dans la tranche d’âge de la quarantaine, se fondaient dans la foule à la recherche des “jeunots” de 18 à 20 ans, lesquels s’enfuyaient dans les rues et s’introduisaient même dans les maisons pour échapper à leurs poursuivants. Peine perdue, sous les rires et les cris des spectateurs, ils étaient ramenés sur la place pour subir le supplice. D’abord l’un après l’autre on les faisait sauter en l’air, après quoi on leur “mascarait” la figure avec une poêle noircie au préalable d’huile et de bougie.

Le dimanche suivant même remue ménage avec la “banne” corne de bœuf bien frottée d’ail. La tradition voulait que ce soit le dernier marié de l’année qui officie. Même débandade dans l’assistance et pour se venger les garçons obligeaient les filles à les embrasser. Ca sentait l’ail !!! Une petite cagnotte était prévue pour se payer quelques verres.

Dans le même temps, dans les remises et les magasins s’organisaient en “grand secret” les chars qui défileraient le dernier jour de la fête.
Plusieurs groupes se formaient, les jeunes chez Combarnous, le Comité des fêtes, le patronage avec l’Abbé Grau dès 1953 chez de la Roquette, des particuliers aussi. Tout se préparait à l’avance, les filles fabriquaient aux veillées une multitude de fleurs colorées en papier crépon, tandis que les hommes construisaient l’ossature des chars. Des charrettes et plus tard des tracteurs étaient immobilisés pour l’occasion. Certains petits malins allaient espionner les autres par les “catounières” ou les fentes des portails.

Un autre dimanche était consacré à la buffatière (danse du soufflet) et à la danse du Gabel (gabellou). Les hommes pour la plupart, étaient vêtus de chemises de nuit, sorties pour l’occasion des armoires des grand mères, d’un bonnet de nuit et d’une ceinture rouge. Certains portaient même des culottes longues ornées de volants. Chacun tenait dans les mains un soufflet rempli de farine et tous, à la queue leu leu avançaient au pas cadencé. Au signal du premier (le meneur), tous se retournaient sur place le soufflet en direction des fesses du danseur précédent, et, ainsi de suite sur des paroles hautement intellectuelles :

Et beuffos-y et beuffos-y àl cieul,
Et beuffos-y et beuffos-y àl cioul,
Beuffos-y al ciul la pôvre biello,
Beuffos-y al ciul qui na besun !
Jean dansabo sans camiso
Marie Lou Sans coutillous
Tra la la la la la la la lère
Tra la la la la la la la la

Entre chaque refrain, certains se détachaient de la chenille pour aller déverser leur soufflet de farine sur les spectateurs, causant une débandade joyeuse dans le village. Puis venait la danse du gabel, fabriqué avec de longs sarments de vigne tressés avec de la corde d’une longueur de 4 ou 5 mètres de long, il constituait un martinet redoutable.

Comme pour la buffatière, la rangée d’hommes accrochés les uns aux autres par la ceinture, sautaient en cadence d’un pied sur l’autre, le premier tenait le gabel. Tous épiaient les gestes du meneur et, quand sans prévenir, d’un mouvement sec, le chef se retournait et abattait sa lourde bûche sur les jambes des suivants, c’était à qui sauterait le plus haut pour éviter le gabel ! Ca faisait mal très mal, les jambes chauffaient et les spectateurs riaient.
Le soir chacun repartait chez soi, le cœur joyeux et recouvert de farine de la tête aux pieds.

Venait enfin le clou du carnaval, le défilé de chars…

Le char de la mère Michel avec de gauche à droite : J.M Champagnol, J .P Fortanier, Ch. Costa; X?, D. Candela, C. Lacugue, Louis Lanjart, Tarbouriech

En premier, celui de Monsieur Carnaval, représenté par un épouvantail truffé de pétards. Ensuite les chars crées avec amour, tous plus originaux les uns que les autres, le dernier qui fermait la marche était celui du Roi et de la Reine de Portiragnes.

Après le défilé un prix était attribué par un jury à celui considéré comme le plus beau.

Reine de 1955 : Josiane Coll. Avec Paul Combarnous, Yvan Banat, Raoul Adrian, Collette Bigot, X, Monique Gastou. Enfants devant : Alain Coll, Eliane Banat et François Gastou

Parmi les Reines de Portiragnes on se souvient de : Suzanne Pradal, Arlette Pujol, Eliette Serres, Olga Tchoulga. Et plus tard, Valérie Réveille (1980), et bien d’autres.

Une anecdote :

Une année, une bande de joyeux lurons avait reconstitué l’armée de Napoléon. Tous étaient revêtus de magnifiques costumes. Un énorme canon suivait l’unité des grognards et des hussards et, à un certain moment, pour saluer l’arrivée de l’Empereur, un coup de canon a été tiré, projetant sur la place bondée de spectateurs, un épais nuage de poussière rouge. Tout le monde se frottait les yeux et suffoquait…
… ce jour mémorable, chacun est rentré chez soi, non pas blanc de farine mais de couleur ocre, laquelle a été bien difficile à nettoyer !

Un des plus beau souvenir Napoléon 1er à Portiragnes (1954)! Avec G. Coget– P. Landuze- J. Saluste- J. Ejarque- H. Pujol – G. Seguret – P. Alingri – F. Castelbou – E. Lopes- R. Ejarque – M. Lacugue – R. Panisse – G. Esposito et devant J. Rubio

A la nuit tombée, on procédait à la crémation de Monsieur Carnaval. Après un jugement sommaire il était condamné à être brulé sur la place publique.

Dans un crépitement pétaradant, Monsieur Carnaval se consumait, soutenu par le chant funèbre des spectateurs qui psalmodiaient :

Adiou paouvre, adiou paouvre
Adiou paouvre Carnabal
Teu tin bas et “ieau” demori
Per manja la soupa à l’al

Quand il ne restait plus qu’un tas de cendres fumantes, la foule se dirigeait vers les Barris, dans un grand magasin qui appartenait à Pétassou et qui servait aussi de salle de cinéma.

Orchestre « Bel Bou Can » sur un char (Raoul Pujol – Jacques Bigot – Raymond Delmas)

Au son de l’orchestre du village on dansait jusqu’à l’aube. Les danseurs déguisés, profitaient de leur incognito pour se permettre d’inviter cavaliers ou cavalières qu’ils n’auraient pas osés inviter à visage découvert, telle la timide Paulette. La tradition voulait que les hommes se déguisent en femmes et les femmes en hommes créant encore plus la confusion.

Une anecdote :

La débonnaire Fillou n’hésita pas un soir de bal, à ouvrir les portes des cartons qui entouraient les hanches des hommes déguisés. Elle poussa des cris offusqués lorsqu’elle découvrit des culs bien blancs, sans le moindre slip, bien entendu !

Cette joyeuse tradition qui permettait à toute une population de se retrouver dans une ambiance fraternelle et amicale, s’est hélas éteinte !

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