Les cinémas à Sérignan

A Sérignan, le cinema passionnait les habitants depuis 1925. Car les « après-guerres » ont été pour le cinéma des périodes fastes, alimentées par le besoin intense de se divertir. Le premier cinéma, l’Excelsior, est apparu après la grande guerre, au 92 du boulevard Victor Hugo. En latin, « Excelsior » signifie « plus haut, plus fort ».

La première salle, boulevard Victor Hugo : l’Excelsior

Emplacement de l’ancien cinéma Excelsior au 92 bvd Victor Hugo.

C’est là que bien plus tard se sont installés la « Sérignagence » de Loulou Cabrol, puis un vidéo club qui enchantai les plus jeunes, ou encore il y a quelques années un fleuriste. L’ensemble du batiment est maintenant dédié à l’habitation.

Nous allons ensemble remonter l’histoire de ce cinéma :

Joseph Séréna (vice-consul d’Espagne à Béziers), acheta le 20 mai 1925 le bâtiment à Raymond Serres. La création de la salle Excelsior est à l’initiative de la succursale « Marycel » (association de plusieurs épiciers de la région), dont Jean Sabatier, Louis Bédard (grand père du docteur Villeneuve de Valras), Antoine Montagne , Charles et Antoine Molinier, Pierre Lalande et Etienne Sabatier (ce dernier décèdera accidentellement lors du carnaval de 1938).

Se succèdent ensuite comme propriétaires Joseph Sin en 1943, et Joseph Tarrius en 1958 (à cette date le cinéma était fermé).

Avant les années 1930, on produisait des films muets avec un accompagnement musical qui était assuré par un pianiste. Ensuite, ceux qui ont bien connu ce cinéma comme Gyu Sabatier, Raymond Dalmau, Louis Ségura et Jeannot Cathala se souviennent de bien des détails!

La façade n’avait rien des grands cinémas de l’époque, tout juste si on pouvait lire « Excelsior Cinéma » sur le mur, et quelques photos exposées du film projeté entre la porte d’entrée et le grand portail de sortie!

Le logo de l’Excelsior

Une porte ordinaire donnait accès à un long couloir longeant la salle, et à quelque mètres de l’entrée, le fameux guichet!

Là il fallait faire son choix, soit dans la grande salle qui était en pente vers l’écran, soit au balcon, mais la place était bien plus chère!

Quelques petite anecdotes

Les jeunes démunis perçaient des trous dans un volet pour regarder depuis l’extérieur, d’autres amenaient un casse-croute pour l’entracte, pour ne pas manquer le redémarrage du film.

Certains, encore plus passionnés, étaient abonnés avec leur place numérotée, ou n’hésitaient pas à prendre le tramway pour voir les nouveaux films à Béziers.

Pas qu’une salle de cinéma

A la vocation de cinéma s’ajoutaient des spectacles de variété, dont le célèbre artiste biterrois Marcel Reval et des troupes théâtrales de Vendres et Sérignan (Mimi Sabatier, Antoine Herrero, etc…), mais pas seulement : la salle servait aussi pour les réunions politiques et syndicales.

Le bâtiment hébergea les Courseilles, qui tenaient un rôle de concierge. Jésus, réfugié espagnol pris en compassion par Mr Séréna était chargé de la billetterie. Denis Cathala occupait la fonction de projectionniste. Louis Cianni déchirait les billets à l’entrée.

Denis Cathala et le projecteur de 35mm

Toutefois, il y avait un grand inconvénient, la salle ne disposait pas de toilettes: alors à l’entracte, les besoins se faisaient à l’extérieur, rue Valessi juste en face, ou plus loin au Casserot.

Approbation d’une nouvelle salle boulevard Voltaire : le cinéma Nox

Mais comme l’on dit, « rien n’est vraiment définitivement acquis! »

Le 27 juin 1949, la biterroise Mme Juliette Modinet-Sandras dépose en mairie une demande de permis de construire pour des travaux concernant la création d’une « salle de cinéma confortable, avec appartement, dans la maison du peuple, à entreprendre sur le terrain sis boulevard Voltaire ». Les travaux sont estimés à 2.5 millions d’ancien Francs.

Le maire Jean Combescure présente cette requête au conseil municipal le 1er juillet 1949 : « pour le moment je suis saisi de propositions honnêtes qui méritent discussion ».

Le conseil est favorable! Madame Modinet accepte et signe le bail emphytéotique moyennant un modeste loyer de 100 anciens Francs par an, pour une durée de 30 ans, à partir du 1er août.

Le bail qui est conclus contient toutes les charges et conditions destinées à donner une plus-value à ce bâtiment communal, en particulier :

  • Les installations devront faire l’objet de l’agrément de la Commission Départementale de Sécurité (CDS) avant la mise ne exploitation.
  • L’entretient de l’immeuble, ainsi que de la toiture sera à la charge du preneur.
  • Le bâtiment loué devra être assuré.
  • Le preneur s’engage à céder gratuitement, à la demande de la mairie, la salle de cinéma, tout les samedi avant les élections et pour les fêtes officielles.
  • La salle sera à la disposition des sociétés ou groupements tous les jours où il n’y aura pas de spectacle. Toutefois en cas de conflit ouvrier (grève), la salle devra, quelle que soit le jour, être mise à disposition des syndicats.
  • Madame Modinet se réserve le droit de vendre le fond ou de le mettre en gérance libre en avisant la municipalité; celle-ci ne pourra refuser un nouveau repreneur.

Le 30 décembre 1949, le Préfet affirme que la salle de la maison du peuple, équipée d’un appareil de projection de 35mm répond aux prescriptions essentielles du décret du 7 février 1941: des séances de cinéma peuvent donc y être données.

L’inspection de l’urbanisme donne son accord. Le permis de construire peut donc être attribué, la fête peut commencer!

La « guerre des cinémas » et la fin de l’Excelsior

Par ailleurs, le lendemain, la CDS effectue une visite inopinée pour contrôler le fonctionnement du cinéma Excelsior, appartenant alors à Monsieur Sin.

Les observations formulées sont les suivantes:

  • Deux panneaux avec l’indication « défense de fumer » devraient être placés de chaque côtés de la scène.
  • Pour assurer la défense contre l’incendie de la cabine, il faudrait placer un poste d’incendie.

En conséquence, le 12 février 1950, le Préfet demande à la mairie de prendre un arrêté mettant en demeure Monsieur Sin d’avoir à effectuer dans un délais de 6 mois les travaux ci-desssus visés.

Ce que l’on pourrait alors qualifier de « guerre des cinémas » va alors commencer.

Dix mois plus tard, le 6 décembre 1950, la mairie reçoit un courrier de l’avocat parisien de Mr Sin, réclament des dommages et intérêts de 5 millions d’ancien Francs en raison du préjudice que lui cause l’accord donné par la mairie lors de la création d’une deuxième salle de cinéma.

Le 15 décembre 1950, un arrêté municipal notifie de la fermeture immédiate et forcée de l’Excelsior tant que les travaux demandés n’ont pas été exécutés.

Le 22 juin 1951, le maire informe le conseil que Mr Sin, étant resté sans réponse de la mairie, lui entente une action judiciaire. Les arguments de l’avocat de Mr Sin sont les suivants:

  • Joseph Sin est propriétaire et exploitant dans la commune de l’unique cinéma depuis 25 ans: l’avocat de la mairie démontrera qu’il est en fait proprietaries depuis 1943 (donc 8 ans).
  • La population du village (2600 habitants à l’époque) est insuffisante pour l’exploitation de deux salles de cinéma : l’argument sera contré en démontrant que les habitants des villages environnants viennent aussi aux séances.
  • La délibération du 1er juillet 1949 permettant l’ouverture du second cinéma est illicite car contraire à la liberté du commerce (suivant la loi de 1791) : l’argument sera contré en démontrant que la délibération n’est non seulement pas pas contraire à la loi, mais en complément est du plus grand intérêt pour la commune (dixit le sénateur de l’Hérault).

Fort de ces remarques, et sûr de son bon droit, le conseil municipal décide de défendre cette action judiciaire le 2 octobre 1951. L’affaire n’est appelée à l’audience que le 20 mai 1953, et est renvoyée à l’avis du Conseil d’Etat. Enfin délibérée le 25 mai 1955, la requête de Mr Sin est rejetée: l’Excelsior a fini d’exister.

Construction et histoire du cinéma Nox

Le cinéma Nox reste dans la mémoire collective des sérignanais comme un lieu fréquenté par un public de toutes origines, car il représentait la seule animation régulière du village.

Il a ouvert ses portes le 24 décembre 1949.

Sa construction dans la salle du peuple du boulevard Voltaire avait été rapide.

Travaux de transformation de l’ancienne salle du peuple en ce qui deviendra le cinéma Nox.

Madame Molinet n’a gardé le bail qu’une année, et l’a cédé à plusieurs propriétaires successifs : Mr Reverdel (de 1951 à 1953), Mr Fina ( de 1954 à 1957), Mr Bidou (de 1957 à 1965), la famille Salomone (1965 à 1972), et Mr et Mme Obry (de 1972 à 1984).

Marcel Salomone, passionné de 7ème art, a vécu toute l’histoire du Nox. Adolescent, il était ouvreur dès le départ (en 1949), avant de prendre la gérance avec ses frères et sa mère (surnommée « Asounde ») qui vendait des friandises à l’entracte et faisait la police pendant la séance. Elle passait dans les allées, un baton de balai à la main, pour sermonner les enfants bruyants. Le garde municipal participait aussi aux séances de l’après midi pour faire cesser les chahuts. Boules puantes et poudre à éternuer venaient parfois interrompre la projection pendant de longues minutes.

Marcel Salomone

C’est Marcel, qui à l’origine, proposa le nom du cinéma à la famille Modinet: il venait d’apprendre le poème « Océano Nox » de Victor Hugo. « Nox « signifiant « Nuit  » en latin. Bien trouvé pour une salle obscure! Il était très fier de ce choix!

D’une capacité de 450 fauteuils (durs à l’avant, confortables à l’arrière) et 18 strapontins, le cinéma accueillait en moyenne 300 spectateurs par séance, jusqu’en 1970.

La salle du cinéma Nox
Spectateurs au cinéma Nox

L’écran était « cinémascope » (photo bandeau): une révolution dans la projection à cette époque-là! Les murs étaient tapissés de panneaux en fibre de bois pour insonoriser la salle. Sur la droite, un coin permettait aux jeunes amoureux de s’isoler de la vue des parents. De ce même côté, une porte fermée pendant les films, ouvrait sur un espace qui servait aux réunions, aux lotos, au bar, aux banquets…

La salle latérale, servant à diverses animations

À l’entrée, plusieurs personnes se sont succédé pour déchirer les tickets, dont Fernande Audoux (mère de Marcelle), Achile Mollo (père d’Armand et Rosy) ou toujours lui, comme à l’Excelsior… Louis Cianni!

Ticket du Cinéma Nox (source)

Deux films par semaine étaient proposés: le mercredi soir, le jeudi en matinée, le samedi soir et le dimanche en matinée et en soirée. Plus tard, la séance du mercredi soir a été supprimée car concurrencée par la célèbre émission « la Piste aux Étoiles ».

Le déclin du cinéma s’est amorcé au début des années 70, avec le développement de la télévision et de la voiture particulière, qui permettait de se rendre à Béziers pour voir les derniers films. À Sérignan ils ne passaient que 6 mois plus tard.

La dernière séance ferme le guichet du cinéma en 1984.

La ville reprendra alors possession des locaux, dévolus à diverses activités et manifestation de la vie locale et lance un opération de réfection en 1991.

Le bâtiment sera finalement détruit en 2001, pour laisser place aux halles, à la salle du forum et à un parking central.

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