Saviez-vous que l’un des ingénieurs les plus éminents de l’industrie aéronautique française est né à Sérignan en 1906, et qu’il y est décédé 74 ans plus tard? Il habitait chemin de la grangette, qui porte maintenant son nom : rue Georges Ricard. Voici le portrait d’un immense talent, grâce à son fils Jean, qui a bien voulu retracer pour nous les grandes étapes de la vie de son père.
Propos recueillis par Marie-Hélène Jouhet
Quelle a été la jeunesse de votre père?
Il venait d’un milieu modeste. Son père Pierre et sa mère Hortense née Cèbe étaient boulangers, ainsi que Raymond son frère et son épouse Madeleine. Leur commerce se situait rue du 14 juillet, dans le cœur de Sérignan.
Georges Ricard, mon père, se révéla travailleur: après des études secondaires brillantes, il obtint un baccalauréat « lettres et science », passa une année préparatoire aux grandes écoles à Paris et entra à l’École Nationale Supérieure de l’Aéronautique. Il en ressortit diplômé en 1930.
La même année, le 20 août, il épousait Mademoiselle Renée Ronceray. De cette union naquirent deux fils, Pierre et Jean.
Comment se déroula sa carrière?
Mon père, une fois sorti de l’École et libéré des obligations militaires, entra à la Société anonyme des ateliers d’aviation Louis Bréguet en 1932. Pendant deux ans, en tant qu’ingénieur d’études, il participa à la conception de deux bombardiers: les 460 et 462.
Son métier le passionnait, et sa franchise tranquille n’était pas sans surprendre : ce fut avec une candeur totale qu’il osa un jour contredire Louis Bréguet lui-même, le « grand » patron! Mais celui-ci accepta l’objection, devinant, derrière l’imprudente remarque, une intelligence et une créativité hors du commun. Il n’eut pas à le regretter!
Les études menées par le jeune diplômé permirent d’améliorer rendement et prix de revient.
C’est ainsi que, nommé ingénieur chef du Service des recherches et des projets, Georges Ricard participa de plus en plus activement à la création de nouveaux concepts d’avion. Il devint directeur de l’usine de Toulouse en 1944. Ses collaborateurs ont souvent évoqué son calme, son contrôle de lui-même à toute épreuve; il n’élevait jamais la voix; sa rigueur intellectuelle et sa puissance créatrice lui permettaient de s’imposer sans effort.
Le week-end lui donnait le recul suffisant pour dessiner et réfléchir à son aise, peaufinant ainsi les projets de la semaine à venir. Et, s’il aimait travailler en solitaire, le travail d’équipe nourrissait son action au quotidien : son entourage appréciait sa courtoisie, sa qualité de contact et d’écoute, son désir de rendre service. Son successeur, Marcel Berjon, le confirma: « Georges Ricard était un homme très affable et courtois. Un sang-froid exemplaire et un calme olympien le caractérisaient : il n’était pas homme à s’énerver. Sa modestie n’avait d’égale que sa créativité. »
Quelles furent ses réussites les plus marquantes?
Il devint ingénieur en chef et directeur d’études en 1947, puis, 10 ans plus tard, directeur technique, toujours chez Bréguet. Il déploya, durant toutes ces années, une fantastique activité de créateur aéronautique.
Il fut, de près ou de loin, à l’origine de tous les avions conçus durant cette période: avions d’attaque au sol, hydravions, avions de bombardement, de transports civils, moyens cargos, le Bréguet à deux ponts, le Bréguet cargo 941 à ailes soufflées et aussi l’Atlantic, le Jaguar et l’Alphajet qui équipaient la patrouille de France.
Sous son influence, la maison Bréguet obtint de considérables succès. Il connut aussi des récompenses bien méritées : il fut nommé Chevalier de la Légion d’Honneur en 1952, obtint la Médaille d’Honneur du Travail en 1959 puis en 1967, et la Médaille de l’Aéronautique en 1959. Cette même année, il reçut une Médaille d’Argent de la Société d’Encouragement au Progrès, distinction reçue pour avoir « grandement contribué au prestige des Ailes Françaises », ceci aux côtés de l’illustre docteur Albert Schweitzer.
Cet incroyable palmarès ne s’arrêta pas là : en 1963 il se vit décerner le prix Icare de l’Association des Journalistes Professionnels de l’Aéronautique et de l’Astronautique. En 1965, ce fut la grande Médaille d’Or de l’AéroClub de France. 1967 lui permit d’être nommé Officier de la Légion d’Honneur. Enfin, en 1979 la Société Académique « Arts Sciences Lettres » lui remit une Médaille d’Or, avec pour exergue « Honneur et reconnaissance aux hommes de valeur ». Le parcours est époustouflant…
Comment organisa-t-il sa retraite, en 1971?
Comme le reste de sa vie: de façon modeste et réfléchie. Il revint vivre à Sérignan, toujours avec la même curiosité d’esprit et le sens de toutes les initiatives: il accepta la fonction de président du comité de la Légion d’Honneur, et, localement, celle de président d’honneur des Amis de l’Orgue. Ainsi, il participa à la mise en place de concerts prestigieux à la Collégiale en faisant intervenir des musiciens de grande renommée comme le clarinettiste Jean-Christian Michel. C’est aussi à ce titre qu’il œuvra pour que la béatification du Père Courtet (premier Dominicain français martyrisé à Nagasaki en 1637) vienne couronner l’oeuvre paroissiale du Père Estoumet.
Il fut aussi cofondateur de « l’Université du 3ème âge » à Béziers. Là, en tant que vice-président il organisa des conférences sur des thèmes volontairement éclectiques: la croisade des Albigeois et les Cathares, la flore de l’étang de Thau, la médecine et le 3ème âge, Béziers en 1900… ainsi que des sorties variées et des activités de toutes sortes.
Du coup, trois ans plus tard, l’Université du 3eme âge connaissait un plein essor et le nombre d’adhérents explosait! Il y donnait lui-même des conférences remarquables sur les analogies possibles entre des sciences différentes, par exemple entre la mécanique et l’électrique, ou entre l’astronomie et l’atomique. La biologie l’intéressait autant que la physique, et notamment l’optique. Ce « baron de l’aéronautique », à l’esprit si cultivé, manifesta son sens humanitaire aussi bien que sa rigueur scientifique. Il fut réclamé également par le Rotary Club et répondit à la demande. Cette intense vie sociale et culturelle ne lui fit pas oublier sa passion première. Il cherchait encore à concevoir des avions capables de décollages et d’atterrissages courts, ou d’amerrissages, quand la mort le surprit en plein vol, si l’on peut dire : il était à son bureau quand il s’affaissa d’un coup. La vie l’avait brusquement quitté.
Quel souvenir a-t-on gardé de lui?
Mademoiselle Yvonne Vignau, qui réside encore à ce jour à Sérignan, a vécu avec la famille Ricard jusqu’au décès de madame en 2001. Elle conserve de lui un souvenir ému et reconnaissant.
Plus officiellement, de nombreux articles ont paru à son sujet, reconnaissant l’immense valeur de cet homme exceptionnel. Le Nouveau Dictionnaire National des Contemporains lui consacre une colonne des plus élogieuses. Il occupe aussi une place de choix dans le « Who’s who in France ». L’allocution prononcée par Marcel Bedon lors de son enterrement en l’église de Sérignan le 26 janvier 1981 rappela une fois encore l’incroyable intelligence d’un homme par ailleurs remarquable de modestie et d’humanité.