La vigne, le vin et les Hommes qui les travaillent sont des facteurs fondamentaux pour la vie de Sérignan et le développement du territoire. La vigne y est implantée depuis le III siècle avant J.-C. Elle se développe d’abord sur les coteaux, grâce à la situation géographique, l’ensoleillement exceptionnel… et les Romains. Avant le Moyen Âge la viticulture décline, perturbée par les nombreuses invasions barbares. Les moines lui redonnent de la vitalité.
Le XVIIème siècle laisse entrevoir la surproduction. Mais après la construction du canal du Midi et le développement du port de Sète, l’avènement du train vers 1860 donne le départ des 40 années qui vont suivre, appelées l’âge d’or de la viticulture. L’aspect du Béziers haussmannien et les nombreux châteaux bourgeois de nos campagnes en sont les précieuses traces. Pasteur flatte les bienfaits du vin. « La population adulte y voit un excellent antiseptique, préférable à une eau souvent peu potable ».
Les raisons de la colère
Mais le phylloxéra menace et différents procédés de lutte se développent (voir la note « Le phylloxéra à Sérignan« ). Ils auront pour effet de limiter la propagation de la maladie et de faire surnommer le village « fontaine de vin du Languedoc ». Ce qui ne sera pas le cas partout.
Les propriétaires sont obligés d’emprunter pour replanter et la course au rendement fart baisser les prix: 42 frs/hl en 1880, 19 frs en 1889 et II frs/hl seulement en 1901.
Le vin naturel (sans sucre ajouté) ne se vend plus. Il coulait dans les ruisseaux. Pyrénées-Orientales, Aude, Hérault et Gard, sont les seuls départements de France à ne pas avoir le droit de chaptaliser: « Le soleil abondant suffit pour faire du bon vin » leur disait-on!
En plus, les importations de vins affluent d’Algérie, d’Italie, d’Espagne et de Grèce.
On trouve sur le marché de nombreux vins trafiqués, fabriqués chimiquement.
Les petits sont ruinés, les ouvriers agricoles sont au chômage, tous les métiers sont affectés par la crise. Frustré et misérable (ils se nommaient les Gueux), le peuple viticole se soulève, encouragé par les gros propriétaires.
La révolte
Marcellin Albert, cafetier à Argeliers (Aude), petit propriétaire et brillant orateur, lance « la révolte des vignerons » de mars à juin 1907. Le 12 mai à Béziers ils sont 150 000 manifestants.
Des heurts violents virent au drame, faisant 6 morts à Narbonne. Le 17ème régiment d’infanterie de ligne, constitué de jeunes de la région, fils de vignerons pour la plupart, se mutine à Béziers. La mairie de Sérignan officialise son soutien à la révolte et verse une aide de 100 h aux manifestants. Suite à l’entrevue Marcellin Albert/Clemenceau, le 29 juin une loi contre la fraude est votée.
La guerre de 14/18 apporte une solution temporaire à la surproduction: « le pinard des poilus » (9°) améliore l’ordinaire et le moral des troupes. Mais rien n’est terminé! La mévente repart vers 1920 jusqu’à la fin des années 1970. On se souvient des barricades à Sérignan au début des années 60 (quelques arrestations) et de la fusillade de Montredon en mars 1976 (2 morts).
La cave coopérative
À Sérignan en 1934, quelques propriétaires décident de mutualiser le travail de vinification du raisin et la vente du vin. La cave coopérative née sous la présidence de Martin Salle qui cède rapidement la place au maire Roger Audoux. Pierre Benoît est le gérant. La méfiance du début est vite estompée par le succès de la vinification et les résultats commerciaux.
Le nombre de coopérateurs augmente vite avec l’adhésion des vignerons de Valras, Sauvian et Vendres. On atteindra le nombre de 804 et un volume de plus de 100000 hectolitres sous la présidence d’André Sigé (1967-1991). En ce temps-là, les 4 départements du littoral fournissent 45 % de la production française. Jean Jaurès en visite à Maraussan en 1905 (1ère cave coopérative de France) avait dit: « L’idée maîtresse […] des coopérateurs […] a été de grouper les petits propriétaires paysans, les petits producteurs vignerons, de les arracher à cet esprit d’individualisme outré et défiant, à cette habitude d’isolement qui a fait jusqu’ici Ia faiblesse du travail rural ». Rendons hommage à ces hommes courageux qui ont osé entreprendre et qui ont réussi!
Rappel historique
En 1764, les vendanges sont fixées au 28 septembre, après visite faite aux vignes et maturité constatée des raisins par les députés nommés par le consul. Il était interdit d’entrer dans les propriétés avant cette date et défendu de grappiller ou d’y faire pénétrer les troupeaux avant la fin officielle (il en coûtait une amende de 5 sols par bête). 250 plus tard, rien n’a changé dans le principe. Seules les dates de début et de fin sont avancées d’un bon mois. Réchauffement climatique? Assurément!
Le village
Entre les recensements de 1831 et celui de 1883, la population de Sérignan passe de 1997 à 3048 habitants. La morphologie du village se modifie pour mieux s’adapter au travail de la vigne. Construit précédemment à l’intérieur des murailles, il va s’étendre autour, sur les boulevards Voltaire et Pasteur et quelques autres rues (Prud’homie, Malakoff…). Les maisons sont typiques des villages Languedociens: au rez-de-chaussée elles abritent des foudres, ou des cuves, et le cheval; l’appartement est au 1er étage et le grenier pour le fourrage au 2ème.
Avant les années 1950 qui marquent le début de la mécanisation, le village comptait 400 ouvriers agricoles pour une population d’environ 2700 habitants (en forte baisse) et un ouvrier derrière chaque cheval!
La vigne faisait vivre Sérignan. Forgerons, maréchaux-ferrants, charrons, bourreliers, tonneliers, marchands de fourrage, d’avoine et de produits agricoles… Tant de métiers disparus! La famille Bonhomme, le père, Paul et ses fils, Roger et Gilbert, équipés de tracteurs à chenilles surpuissants, exerçaient l’activité d’arrachage des souches et le défonçage des terres; car à l’époque, les racines étaient très profondes et devaient être enlevées avant de replanter.
En septembre/octobre, le village vivait au rythme des vendanges. La promenade s’animait dès 6 heures; un ballet de charrettes commençait, transportant vendangeurs et comportes vers la vigne choisie. Le soir venu, les pressoirs et les pompes chantaient pendant une partie de la nuit. Les rues, tachées de jus de raisin, sentaient le vin en fermentation. Tout le monde vivait ce long mois avec intensité, fatigué mais porteur de l’espoir de voir le fruit d’une année de travail mis à l’abri dans les caves.
Bien qu’elle ne soit plus l’activité principale, la viticulture demeure une richesse sûre depuis la plantation dans les années 1970 de cépages améliorateurs, aux rendements inférieurs mais produisant des vins de meilleure qualité. Il y a 50 ans, les vignes de la rive gauche possédaient le plus gros rendement au monde en dépassant les 150 hl/hectare… mais titrant des degrés très bas.
Devant une concurrence accrue et la nécessite vitale, les méthodes de culture, d’élaboration et de commercialisation (les 3 métiers du vin) se sont affinées. Ces améliorations permettent de laisser espérer tous ceux qui souhaitent garder cette noble activité.
Note : le phylloxéra à Sérignan
Raymond Dalmau, compteur et historien sérignanais, a travaillé de longues années pour le domaine Marceau Castanié, puis Cabrillac, avant de verser dans l’immobilier. Il nous rappelle les moyens anciens utilisés pour irriguer les vignes.
Utilisée depuis très longtemps pour dessaler les terres, l’inondation volontaire des propriétés se faisait d’abord avec des pompes actionnées par des machines à vapeur. L’arrivée des moteurs à explosion introduit des « semi-diesel » à 2 temps, dont on chauffait la culasse à la lampe à souder afin de les démarrer. On trouvait ce genre d’installation dans des bâtiments surmontés d’une haute cheminée, toujours situés en bord de rivière. Un au pied du pont rouge, l’autre derrière l’église (grangette Valessie à l’origine). À l’époque, noyer les vignes pendant 90 jours devenait un remède pour lutter contre le phylloxéra, ce puceron qui s’attaquait aux racines. L’inondation des terres se fait de nos jours, grâce au canal du Bas-Rhône Languedoc, mais aussi avec la rivière quand son taux de salinité est acceptable. L’utilité est de dessaler en « lavant » la terre et non de noyer le parasite.
Un autre moyen pour empêcher la propagation de la maladie fut le greffage sur plans américains, immunisés contre ce fléau.
Greffer à la main était devenu tout un art! R. Dalmau et A. Munos ont vu certains ouvriers, devenus « spécialistes », se cacher dans les cuves pour ne pas dévoiler la précision du geste de leur couteau pour préparer les greffons. Eux-mêmes, ont effectué 8000 greffes en 4 jours: une performance! Mais le plus spectaculaire fut le résultat : 1 seul manquant! Il faut dire que les greffons, issus de sarments choisis et conservés dans le sable humide, étaient taillés avec une nouvelle machine spéciale, pas à la main. Ils sont tous deux encore fiers de ce résultat, en parlent encore… mais ne sont pas crus par tous!