Les inondations d’autrefois

La nuit commence à tomber. Il pleut. Depuis deux jours il pleut, il pleut sans arrêt. Tout à coup, la sirène! 1 coup…2… 3. L’inondation est annoncée.

Dans le village, chacun se prépare. Vérifie ses batardeaux, son plâtre . Quoiqu’il arrive, Mégnint sera ouvert toute la nuit, on pourra acheter le nécessaire. Il est encore trop tôt pour aller au Casserot voir la rivière.

1 coup…, 2…, 3. Cette fois, c’est sérieux. Tout est fin prêt. Il est temps de chausser les bottes et d’enfiler le ciré…. Direction le Casserot.

Petit à petit de petits groupes se forment. Chacun y va de son commentaire:

  • « Avec tout ce qui dégringole à Bédarieux, dans une heure on a un mètre de plus. »
  • « Ils ont mis la pompe en route! »
  • « Il ne faudrait pas que le coteau donne sinon… »
  • « Tu crois que ça va être plus haut que la dernière? »

C’est le pauvre barrage d’Avènes qui est le plus coupable : « Ils ont lâché Avènes! »

Combien se souviennent qu’avant 1962, il n’y avait pas le barrage mais il y avait des inondations? Inondations ordinaires qui ne faisaient que passer sans trop de dégâts, apportant du limon et dessalant les terres. En faire le décompte n’apporterait rien de plus.

Par contre, les inondation terribles qui emportaient tout sur leur passage ont laissé des souvenirs.
Les ponts de notre village en ont particulièrement souffert. Le plus ancien, peut être romain, qui n’a laissé comme souvenir que des piles sur lesquelles avait été installé au XIIIe siècle un pont de bois emporté fin XIVe. Les sérignanais furent obligés de traverser avec des bacs (régulièrement emportés et souvent détruits) jusqu’à ce que soit construit le pont suspendu en 1851.

Dans les archives

Sous l’ancien régime, les délibérations consulaires relataient tous ces débordements. Quelques unes méritent d’être retenues:

1745

le dimanche dixième du courant mois d’octobre ( 1745) il fit une inondation qui dura tout le lendemain et fit beaucoup de ravage dans le terroir et le mardy 12e il survint une seconde inondation qui dura le 13e et le 14e et jusqu’au vendredy 15e laquelle inondation dont on n’avait jamais vu de semblable et qui etoit un veritable déluge […] d’autre part cette inondation a coulé la barque dit bac et l’autre petite barque appelée bette amenée à la mer et fracassée[…] cette inondation a tombé toutes les murailles du cimetière […] les vignes basses qui n’étaient point vendangées les eaux sont passées de plus de 2 pans au dessus des souches….

1766, le 30 novembre

La communauté se trouve totalement ruinée […] par trois débordements et inondations de la riviere dorb qui […] dans l’intervalle d’environ 8 à 10 jours dont le dernier qui arriva le 14e a été le plus fort […] a submergé toute la surface de la plaine […] a duré 8 jours […] le village même n’en a pas été exempt puisque ces pluies si fortes et les vents impétueux qui soufflaient avec violence ont fait crouler un nombre des maisons….

1843, le 1er mai

A la suite d’une effroyable pluie qui a duré sans interruption pendant 36 heures, les eaux de la rivière prodigieusement grossies ont subitement […] envahi la plus grande partie des maisons et l’église, renversé les murs du cimetière et ébranlé le presbytère […] pendant cette irruption survenue au milieu de la nuit, les habitants, épouvantés, bravant la fureur des eaux, beaucoup au péril de leur vie accouraient aux écuries pour arracher leur bétail à une perte imminente […] les femmes montaient avec leurs enfants aux premiers étages, d’autres poussaient des cris de détresse […] les eaux entrant avec violence dans leurs maisons […] l’église ayant plus de 4 pieds1 d’eau. Un courant traverse avec violence le presbytère […] les habitants voient leur vénérable pasteur pénétrer avec le secours d’une barque jusqu’aux dernières marches du sanctuaire pour y sauver les ornements […]

1 environ 1.20m

C’était peut être la première fois que les sérignanais voyaient l’eau dans le village. (Dans les récits antérieurs il n’en est jamais fait mention).

Longtemps, le village a été à l’abri derrière ses murailles et, portes fermées et calfeutrées l’eau ne devait pas entrer. Cela va changer:

  • en 1801, ayant besoin d’argent et de place, la communauté vends des terrains à l’extérieur avec possibilité de construire.
  • 1810 n’ayant plus d’utilité, les portes de la ville sont détruites et les pierres vendues.

Ces deux décisions ont eu pour conséquence ce que décrit le texte de 1843 : des maisons sont croulées et l’eau est certainement entrée dans le village par le vide laissé par les portes.

Estimation des dégâts, indemnisations

Au temps des rois de France, les dégâts causés aux terres de la communauté faisaient l’objet d’une vérification et d’une estimation par un expert. Son rapport permettait de demander à l’intendant de la province des indemnités.

Mais la procédure était longue (rien n’a changé depuis!).

Inondation de 1742

  • En décembre 1742 : inondation.
  • Février 1743 : demande de vérification et d’estimation des dommages à Monseigneur l’intendant.
  • Mars 1743 : nomination d’un expert de Béziers.
  • Octobre 1743 : rapport transmis au syndic général de la province puis aux commissaires du diocèse de Béziers. Procédure sans résultat. Appel de la communauté.
  • 1745 : Le diocèse accorde 3000 Livres d’indemnité. La communauté les répartira après délibération.

Pour avoir une idée de la valeur de l’indemnité : en 1745, 1 journée de travail = 4 Livres. L’indemnité vaut donc 750 journées de travail.

On peut aussi la rapprocher cette indemnisation aux prix de la viande de l’époque. La viande de mouton est alors vendue 4 sols la livre (unité de masse). 3000 livres (monnaie) sont équivalentes à 60 000 sols. Une livre étant équivalente à 414,65 grammes, l’indemnité est donc équivalente à 6219,75 kg de viande de mouton.

Inondations de 1745

Pour ce qui était des terres de la seigneurie données à ferme, les fermiers faisaient estimer le dégâts et demandaient une indemnité au seigneur.

Nous avons la chance de posséder une lettre de Mr Gottis (intendant de Mme de Poulpry, seigneuresse de Sérignan et Valras) qui fait état des constatations faites par Mr Caraman concernant les dégâts causés par les deux inondations successives en octobre 1745.

Pour Sérignan

LieuIndemnisation
La grande prairie de 60 sétérées (14,7 ha) aux ¾ ravagée perte estimée450 Livres
Champ dit du jardinier de 3 sétérées (0,7 ha)36 Livres
Palais carré de 24 sétérées (5,9 ha)780 Livres

Pour la métairie de Valras

LieuIndemnisation
Les rompudes n’ont pu être ensemencées, manque à gagner294 Livres
Le champ dit « de l’aire »162 Livres
La vigne de la salade300 Livres

Pour la métairie de La Doumergue

LieuIndemnisation
Terre de Lespinasse manque à gagner390 Livres
Terre de Las canals145 Livres

Le restant des vignes a beaucoup souffert, le vin même s’est trouvé gâté et de là même on a souffert un dommage considérable qu’on n’est pas à même d’estimer

Jardin de la métairie de La Doumergue

Tout a été recouvert de limon. Les pertes n’ont pu être estimées.

Conclusion

Mr Caraman estime donc les pertes des fermiers à 2557 Livres auxquelles il faut ajouter les dommages non estimés .

Quelques photographies

Malheureusement, les récits d’inondation vont disparaître des délibérations municipales. Il ne nous restent plus pour souvenir que les photographies.

Les crues de l’Orb ont toujours fait partie de la vie des sérignanais . Ils n’ont pu faire autrement que vivre avec et de s’adapter.La dernière réalisation, la digue autour du village en est la preuve.

Pour aller plus loin :

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