Histoire de la rue Lamartine

Une rue, une rue… peut être pas comme les autres.

Quand ils en parlent, celles et ceux qui l’ont connue ont le coin de l’œil humide.

Quand les rues n’avaient pas encore de nom, les maisons pas de numéros, où chacun se situait par rapport à son voisin, elles s’appellaient une rue, une ruelle ou plus étroite encore une endroune. Elle, elle avait un nom.

Il n’était pas original mais il la décrivait bien: la grande rue.

Elle commençait à la porte Notre Seigneur. Cette porte permettait de sortir de la ville vers la rivière.

En partant vers la droite, traversant l’actuel jeu de boules on arrivait à l’emplacement d’un ancien pont emporté au XIV° siècle par la rivière en furie et surtout au gué qui permettait l’été de la traverser.

En partant vers la gauche,au niveau du milieu de l’actuel parking de la Cigalière les sérignanais pouvaient aller prendre une des deux barques (bacs) pour aller travailler leurs terres du côté de Villeneuve.

On peut voir les vestiges de cette porte entre les n°52 et 54 de la rue.

Elle arrivait jusqu’à la rue Danton actuelle. Après c’était une « rue » ou une « rue publique ».

Mais revenons à notre « grand rue ».

Tout ce que l’on sait d’elle sous l’ancien régime peut être trouvé dans le compoix. Nous avons le nom des propriétaires et l’usage des bâtiments la bordant.

En 1746, la grand rue

A droite en entrant dans le village :

  • Catherine BELLABAL : une maison
  • Jean Baptiste LABRIAGUES : une maison
  • Marie LAGARDE : une écurie
  • Etienne MURATEL : une écurie et un patus (petite cour)
  • Guillaume POURQUIE (notaire) : une écurie
  • Guillaume TAMARIS : une maison et une écurie
  • Guillaume MURAT : une maison et un patus
  • Pierre AUDIBERT : une maison et un tinéral (cave). Un puit.
  • Pierre NEGRE et sa femme : une maison
  • André ALENGRY : une maison

A gauche en entrant dans le village :

  • Les héritiers de Jean CABRILLAC : une écurie
  • Les héritiers de Jean CROUZAT : une maison
  • Hercule IZARD : une maison
  • Jean Baptiste LACROIX : une maison
  • Marie LAGARDE : une maison
  • François MAYNAUD : une maison
  • Guillaume POURQUIE : une maison
  • Nicolas POURQUIE : une maison
  • Les héritiers de Louis CASTEL : une maison
  • Guillaume TAMARIS : une maison et écurie
  • Louis AZEDES : une maison et le dessus d’un passage
  • Jean Baptiste LABRIAGUE : une maison

XIXème siècle : la rue française

Le cadastre de 1830 rajoute le bout de « rue publique » qui va de la rue Danton à la rue Léon Gambetta et baptise le tout « rue française ».

Après la révolution, début XIX° siècle, le besoin d’espace se faisant sentir, construire en dehors des murs est autorisé, la porte « notre seigneur » démolie, la rue s’agrandit vers la rivière.

La rue Lamartine et ses numéros atypiques

Entre 1901 et 1906 elle devient rue Lamartine, nom qui est toujours le sien avec souvent, dans la mémoire de beaucoup, celui de « la rue du pont ».

Cette rue, quand on va du centre ville vers la rivière, coté droit commence au n°4 (la porte n°2 a du être condamnée) et remonte jusqu’au n°46. En face nous devrions avoir un numéro impair. Ce n’est pas le cas, nous avons le n°48, et, rentrant dans la ville nous arrivons au n°90. Il n’y a que des numéros pairs.

L’explication nous en est donnée par Louis Fau, petit fils du dernier boulanger de la rue qui avait son fournil au 78.

A propos de la Rue Lamartine, j’ai souvenir de l’installation des plaques numérotées dans la rue.

C’est Mailhé et son apprenti Daniel Cianni (si je ne me trompe pas de prénom) qui les ont installées. Ils ont commencé par poser le n°2 à partir de la rue Gambetta et Mailhé m’a expliqué que le plus petit numéro devait se trouver le plus près de la Mairie car tous les numéros devaient partir de ce point. Alors, lui ai-je dit, il y aura le 1 en face sur maison de ma tante Aline. Il m’a répondu que non, il allait faire le tour avec des numéros pairs car on ne lui avait donné que des numéros pairs. Sur le moment, comme j’étais jeune et curieux, j’ai pensé qu’il se moquait de moi. Mais non…

Ses habitants

Pour les sérignanais, elle était un petit village, très vivante, accueillante, pleine d’enfants. Ont-ils raison ?

Accueillante ? Certainement. Il n’est qu’a voir la croissance de sa population au fils des années due en grande partie a de nouveaux arrivants. Nous allons pour cela nous servir d’un document officiel, le recensement.

A partir de 1836 des recensements ont eu lieu mais il faut attendre 1851 pour que le nom des rues soit indiqué et encore pas chaque fois.

Année du recensementMénages rue françaiseHabitants rue françaiseHabitants à Sérignan
1851542002254
1856732402310
18611033152408

Dans cette deuxième partie du XIX° siècle, de 1851 à 1861, alors que la population de Sérignan passait de 2254 à 2442 habitants (+188 habitants soit +8,34%) , celle de notre rue passait de 200 à 315 (+115 habitants, soit +57,5%).

L’arrivée du train à Béziers a permis de vendre le vin vers Paris. La production a augmenté, le besoin de main d’œuvre peut expliquer cet accroissement. Venant en grande partie du Tarn et de l’Aveyron c’étaient les « gavach » (nombreux sont les sérignanaises et sérignanais d’aujourd’hui descendant de ces « gavach »).

Plus de la moitié de l’augmentation du village vient habiter rue Lamartine.

Les recensements de 1866, 72 76, 81 et 86 ne mentionnent malheureusement pas les noms de rue.

Trente années vont passer. En 1891 Sadi Carnot est président de la IIIème république.

Année du recensementMénages rue françaiseHabitants rue françaiseHabitants à Sérignan
1891932733525
1896883133485

En 30 ans, 1117 sérignanais de plus . En 1891, la plage (Valras) est mentionnée pour la 1ère fois avec 288 habitants, mais 42 « lamartiniens » de moins.

Entre ces 2 recensements, des rues nouvelles ont été construites et certains ont du quitter la rue pour aller dans les maisons neuves.

L’arrivée des calabrais

Et pourtant un changement important vient de se produire.

Dans des années sans recensements, entre 1861 et 1891 de nombreux étrangers, presque tous italiens, beaucoup natifs de Cetraro commencent à venir habiter Sérignan pour y trouver travail et vie décente.

En 1896, la rue française (future Lamartine) compte environ 82 italiens. Je dis environ car peut être que le recenseur dans la difficulté de communiquer peut confondre. J’ai du mal à croire que Philippe JEAN soit de nationalité italienne. Son épouse Cicile (ou Cécile) PALETTO certainement. Mais on ne sait jamais.

Le recensement de 1901 ne mentionne pas les noms de rue.

Année du recensementMénages rue LamartineHabitants rue LamartineHabitants à Sérignan
1906451793550
1911443133222

Les habitants et la grande guerre

En 1914, la guerre est déclarée, le mobilisation générale décrétée. Les « lamartiniens » mobilisés vont répondre à l’appel.

En 1915, le quartier est en émoi, les gendarmes sont venus frapper à la porte de Joseph et Eulalie FABRE. Leur fils Joseph est mort pour la France le 6 juillet à Beauséjour dans la Marne. Il avait 28 ans et s’était marié en 1913 avec Fernande REDON de Sauvian. Il sera la seule victime de la rue. Son nom est gravé sur le monument aux morts.

Plusieurs seront blessé Pierre EYBRAM, Fernand MILHAU, Marius MARC, Louis ANTONNUCCIO et même 3 fois comme Pierre FAU .

Leur courage vaudra à plusieurs de recevoir :

  • la croix de guerre Pierre FAU, Henri CRUCHANDEAU et Louis ANTONNUCCIO
  • la médaille militaire Louis ANTONNUCCIO et Henri CRUCHANDEAU.

Marius MARC sera fait prisonnier en 1916 et libéré en 1918.

Année du recensementMénages rue LamartineHabitants rue LamartineHabitants à Sérignan
1921521763593
1926491593640
1931551853821
1936541812683

Les lacunes dans les archives et la seconde guerre mondiales font qu’il n’y a pas d’information disponible jusqu’à 1962.

Année du recensementHabitants rue LamartineHabitants à Sérignan
19621082769
1968952927
1975853209

Qui y habitait où et qui faisait quoi

« Qui » est facile à trouver il suffit de lire le recensement.

En l’absence de numérotation, « où » est impossible à préciser sauf peut être pour certains artisans ou commerçants qui, le plus souvent résidaient sur le lieu de leur travail.

« Qui » faisait « Quoi » est quelquefois mentionné par le recenseur.

La plus grande partie des hommes travaillaient dans la campagne : propriétaires ou ouvriers agricoles. Leurs épouses bien que ne le déclarant pas au recensement étaient souvent journalières quand le travail de la vigne le nécessitait.

Plusieurs familles de pêcheurs s’y sont succédé. DOMAIRON (ou DOUMAIRON ), MOLINIER, IZARD, GALIBERT, CROUZAT, SAUZET et TREBILLAC le dernier.

Divers commerçants et artisans ont exercé.

Avant la seconde guerre mondiale

Bouchers

  • Louis COURSIE en 1851 – 56 .
  • Jean OULLIE et Léon FOLL en 1921. Y avait-il 2 boucheries? Je ne pense pas. Un devait être employé chez l’autre.
  • François ESCARGUEL 1931-1936 et plus
  • Fernand VIDAL 1962
  • Georges DOMERGUE 1968
  • Amédée

Épicières et épiciers

  • Françoise LAMOUROUX 1856
  • Antoinette AYBRAM 1911
  • Anna MILHAU 1911
  • Elodie AYBRAM 1921 -1926 – 1931 – 1936
  • Jean BRUNET 1896
  • Georges et Reine RIEUX au moins jusqu’en 1968

Boulanger

  • Louis FAU 1896 – 1911 – 1926

Laitiers

  • Benoît SOUQUET
  • Antoine BOUCHE 1911

Limonadier

  • PIEY : 1921, 1926, 1931. Je pense qu’il devait être à l’angle de la rue Lamartine et de l’avenue de Béziers.

Bourreliers

  • Louis COURSIE et son fils Gabriel : 1856, 1861

Cordonniers

  • Hugues PRAX en 1851 et 1856. Il ne sera remplacé que plus tard en 1926 par les frères BERTULLI Lorenzo et Eugène (orthographe certainement phonétique) en 193, 1936 et plus.

Menuisiers

  • Antoine CLUZEL 1851-56 ( 2 employés),1861.
  • Jacques FABRE et MILHAU Henri ont semble-t-il pris la suite de CLUZEL en 1896, mais qui était le patron?
  • Henri MILHAU et Louis ROUQUETTE de 1911 jusqu’en 1936 (et plus).

Perruquier

  • Pierre PRADES 1851. Exerçait-il dans la rue?

Maréchal-ferrant

  • Paul ARRIBAT : 1851, 1856, 1861

Tonneliers

  • Jean LOUBENS 1911
  • Louis COSTES 1896 – 1911
  • Martin ARNAUD de 1851 à 1896

Tailleur de pierre

  • Pierre FABRE : 1896

Porte-faix

  • Michel FABRE : 1856

Repasseuses

  • Anne FABRE 1851
  • Marie BOUTES 1896

Sage-femmes

  • Elisabeth CRUCHANDEAU (sœur d’Irma BOUTES) 1911
  • Irma BOUTES 1911, 1921, 1926, 1931

Médecin

  • Jacques CABRILLAC : élève médecin en 1851, puis médecon en 1856, 1861.

Après-guerre, en 1962

En 1939 et 1941, pas de recensement durant la guerre. Et 1946 et 1951, les archives départementales sont lacunaires. 26 années passent sans recensement.

En 1962, la rue compte 108 habitants, pour 2769 habitants à Sérignan. Elle a changé.

Il ne reste que 2 commerces : l’épicerie de Georges et Reine RIEU, et la boucherie de Fernand VIDAL.

Le cordonnier BARTALI est encore là.

Les familles d’origine italienne se sont agrandies mais la majorité d’entre elles est maintenant française. Souvent seuls les plus âgés gardent leur nationalité comme Rosa TRIPICCHIO née en 1876 ou les époux Marie et François MOLLO nés en 1895 .

Un couple et ses deux enfants, une veuve et son jeune fils venant d’Espagne se sont installés.

Ce sont les enfants qui ont pris possession de la rue. Ils sont 20 garçons et filles de moins de 16 ans.

Une seule famille nombreuse : Carmel TALZON, employé SNCF et Josepha son épouse ont eu 3 filles et 3 garçons.Ils venaient de SFAX en Tunisie.

Et puis il y avait les « étrangers » à Sérignan. La famille ROIG venait de Pézénas. Le boucher VIDAL son épouse et ses 2 filles de Lieuran-lès-Béziers. Le forgeron Jacques POITIER et son épouse de Béziers. Henri COMBE, certainement retraité et son épouse étaient originaires de Damarie-les-Lys en Seine-et-Marne.

En 1968

En 1968, la rue compte 95 habitants pour 2927 habitants à Sérignan. La population de Sérignan augmente, celle de la rue Lamartine diminue.

Les sérignanais de souche laissent la place à une nouvelle population.

  • Français nés à l’étranger : 6
  • Originaire de l’Hérault :
    • Béziers : 15
    • Sauvian : 2, Caux : 2
    • Cers : 1, Nissan : 1, Maraussan : 1, Maureilhan : 1, Vias : 1, Graissessac : 1, Montpellier : 1, Roujan : 1, Canet : 1
  • Originaires d’autres départements :
    • Aude : Boutenac: 1, Nevian : 1, Saint-Couat-d’Aude : 1
    • Rhône : Lyon : 1
    • Ariège : Sauret : 1, Sorgeat : 1
    • Tarn : Castres : 1, Brassac : 1
    • Aveyron : Brousse-le-Château : 1
    • Lozère : Sainte-Croix-Vallée-Française : 1
    • Essonne : Donnemois : 1, Moigny-sur-École : 1
  • 9 sérignanais sont de nationalité espagnole, 6 de nationalité italienne.

Georges RIEU et son épouse Reine tiennent toujours l’épicerie. La boucherie a changé de propriétaire. Fidèle au poste, BARTALI le cordonnier est toujours là.

Georges DOMERGUE venant de Sainte-Croix-Vallée et son épouse tiennent la boucherie.

Il sera remplacé par Salvador.

En 1975

En 1975, la rue compte 84 habitants pour 3209 habitants à Sérignan. Malgré 23 nouveaux venus, notre rue perd encore 11 habitants alors que Sérignan qui continue doucement de grandir en gagne 282.

  • 3 couples dont un avec leur fils sont originaires d’Espagne (peut être habitaient t-ils une autre rue avent leur arrivée rue Lamartine).
  • 2 ouvriers maçons, 1 algérien et 1 marocain, ont pris pension.
  • 8 habitants viennent de Béziers, 1 de Vendres, 1 de Douai (Nord), 1 de Caylus (Tarn-et-Garonne). 1 d’Arcachon (Gironde), 1 de Dammary-les-Lys (Seine-et-Marne), 1 de Bizerte (Tunisie), 1 de Jative (Espagne)
  • Seulement 7 enfants de moins de 15 ans,

Mais la rue Lamartine a perdu sa vie de petit village. Il n’y a plus de commerce et même BARTALI a pris la retraite. Bien sur il est toujours là,

Des natifs de Cetraro il ne reste que François MOLLO le doyen né en 1895, Angel CIANNI et Xavier SANDONATO nés en 1902, Jacques PALERMO né en 1904 et Eugène BARTALI né en 1911.

Après 1975, les relevés ne sont pas publiés aux archives départementales.

Les familles nombreuses

Pendant la période étudiée (1836-1975), cette rue, bien que remplie d’enfants, n’a pas connu de famille très nombreuse (+ de 5 enfants).

  • En 1906 Joseph MOISE et Philomène SITA ont 4 filles et 3 garçons
  • En 1846 Jacques CROUZAT veuf élève 2 garçons et 4 filles
  • En 1856 Guillaume FABRE et Marie ROLLAND ont 2 filles et 4 garçons
  • En 1861 Jean DOUMAIRON et Françoise CASTEL ont 1 fille et 5 garçons

L’accident de 2015

En 2015, un événement qui aurait pu être tragique a changé le visage de notre rue.

Une nuit de février, un vieux monsieur est réveillé en pleine nuit par son chien. Il décide de le sortir et pas plutôt dehors, la maison s’ écroule. Les secours arrivés, il a fallu porter secours au locataire de l’étage qui était plaqué contre le mur, en équilibre sur ce qui restait du plancher.

Il a fallu protéger le trafic de la rue (voitures et piétons) par un tunnel en bois. Les procédures auprès des assurances ont duré prés de 2 ans. La commune a acheté les deux maisons voisines endommagées. Finalement les trois ont été détruites et remplacées par une place qui aère et éclaire le quartier. Plus de peur que de mal !

Souvenirs

Bien qu’embellie, ses façades repeintes, la rue Lamartine autrefois pleine de vie, de rires et de jeux enfantins, de soirées d’été sur le pas de la porte n’est plus qu’une rue dortoir.

Quand ils se retrouvent, les anciennes et anciens de la rue en parlent avec beaucoup de nostalgie et l’œil humide.

Anne-Marie

J’avais 6-7ans. J’habitais chez mes grands parents au N° 8. Les chambres étaient à l’étage.

Une nuit nous avons été réveillés par un bruit qui venait dans la cuisine. Quelque chose tapait. C’était la bouteille de gaz qui flottait dans l’eau et qui se cognait contre les murs. La rivière avait débordé, était entrée dans le village. Cela arrivait souvent mais c’était la première fois qu’elle entrait chez mes grands parents.

Je me souviens que le lendemain quelqu’un était venu en barque apporter des provisions à ma grand mère qui les avait montées avec un panier accroché à une corde.

En face de chez nous,il y avait l’épicerie de Reine. Quand j’avais une petite pièce, j’allais y acheter du « c’est froid », une barre de chocolat enrobée de papier brillant jaune pâle qui donnait une sensation de fraîcheur quand on la suçait.

Mes parents m’ont raconté que quand je n’avais que 2 ou 3 mois on me pesait sur la balance d’Escarguel le boucher pour savoir si je tétais suffisamment.

Louis

La bande à Zaf

En ces années-là, les voitures étaient rares dans le village et si durant notre première année à la « grande école », nos mamans ou voisines nous accompagnaient, surtout pour traverser la route à la grande promenade. Depuis le début de cette deuxième année, le jour de la rentrée des classes passé, nous y allions seuls, comme des grands. Tous les enfants qui habitions dans le quartier du pont nous avions pris l’habitude d’effectuer le trajet ensemble et nous nous étions regroupés autour de Zaf qui allait devenir le chef de notre petite bande.

De son véritable prénom Jean-Marie, Zaf avait un an de plus que la grande majorité d’entre nous. Nous l’avions rejoint l’année précédente dans le CP de Mademoiselle Leydier où il consolidait son apprentissage de la lecture. Zaf avait un autre surnom, le parachutiste. Non pas que son père ait servi dans cette arme lors de la seconde guerre mondiale qui avait pris fin six ans auparavant, mais parce que les plus grands de l’école lui avaient attribué ce sobriquet à cause de sa tête qu’il avait assez volumineuse et surtout de ses oreilles assez développées qui se positionnaient bien perpendiculairement à son crâne. Les vieux du village, toujours prompts à railler les autres à propos de quelque défaut physique, disaient de lui en le voyant passer: « Celui-là, il n’a pas besoin de regarder la girouette pour savoir d’où vient le vent ! ». Mais gare à celui d’entre nous qui s’avisait de l’appeler « le parachutiste » en sa présence : c’était la correction assurée et il savait très bien se servir de ses poings.

Comme bien souvent dans les cours d’école ce n’est pas le plus calme, le plus gentil et le plus intelligent qui est pris pour modèle ! Le vent mauvais ne lui était que très rarement signalé par la double girouette qu’il avait de chaque côté de la tête. L’attrait de l’interdit, de la transgression faisaient que bien souvent, nous nous laissions entraîner dans les pires bêtises qu’il imaginait. Comme disait souvent Monsieur Escande : « Jean-Marie, dès qu’il y a une ânerie à faire, tu y vas comme un âne qui va boire ! Et vous ses copains, vous suivez comme les moutons de Panurge ! ». Cette interpellation nous laissait dubitatifs. Un âne, on savait ce que c’était ; il y en avait deux ou trois dans le village et dans les domaines voisins. On connaissait la réputation de cet animal en peu rétif et l’on savait que lorsqu’il avait décidé de n’en faire qu’à sa tête rien ni personne ne pouvait le faire obéir, surtout s’il avait envie de manger ou de boire. Des moutons aussi on savait ce que c’était, il y en avait plusieurs troupeaux au village. Mais qu’avaient donc de particulier ceux de Panurge ? Et qui était ce berger ? A Sérignan, les bergers s’appelaient Guisset, Olive, Georges ou Jeannou. A Sauvian, c’était Miralet et Ignacio qui emmenaient paître les moutons. Peut-être que ce berger était de Patau, la Vistoule ou Clapiès, des domaines du plateau de Vendres, ou de Portiragnes, vers les Salans; tous des lieux éloignés du village dont nous avions entendu parler mais où nous n’étions jamais allés. Monsieur Escande avait dû rencontrer Panurge lorsqu’il chassait mais personne d’entre nous n’osait lui demander qui était ce Panurge. Et nous n’avons jamais su ce que suivaient ses moutons.

Les gens qui m’ont marqué

Louis Rouquet et ses filles Elise et Rosette. Cette dernière, handicapée, se promenait toujours avec une poupée et piquait des colères qui épouvantaient les jeunes enfants. Lorsque les gens de la rue l’entendaient, ils ne manquaient pas de dire : « Rosette est en colère, le temps va changer ». Jamais elle n’en a malmené aucun enfant même, lorsqu’ils la harcelaient.

Jean-Marie Rouzaud, dit Zaf ou encore le parachutiste. Lorsque les vieux de la promenade du pont le voyaient passer, ils s’exclamaient : « Celui-là, avec ses oreilles, il sait toujours d’où vient le vent ! ». Il n’avait que lui pour nous entraîner à faire des bêtises, plutôt des grosses que des petites et s’il se faisait prendre sur le fait, il assumait pleinement ses frasques. (Les vitres de Mailhé)

Mamé Rouquette, mère de Louis Rouquette, centenaire et aveugle. Lorsqu’elle prenait le frais les soirs d’été, nous lui disions tous « bonsoir » et elle nous reconnaissait à notre voix.

Georges Senal, deuxième ligne de la grande ASB, a vécu dans la rue, d’abord au numéro 16 où il vivait avec ses parents et ses grands-parents, puis impasse Renan ou chaque famille avait sa maison. C’était un garçon assez calme sur veillait sa grand-mère Fiorine. Dès qu’elle le perdait de vue, elle l’appelait : « Giorjo ! Giorjo! ». Et nous, nous l’avions surnommé « Jojo la mamé ». Sa mère, Yolande, dès les huitièmes de finale, chaperonnait les filles du quartier qui voulaient assister aux matchs dans lesquels était engagée l’ASB.

Reine Rieu, l’épicière nous faisait un peu peur lorsqu’elle était en colère après nous, surtout lorsqu’elle criait. Mais cela ne durait pas beaucoup et si elle se rendait compte que nous étions au bord des larmes elle nous consolait en nous offrant une friandise : elle avait un cœur d’or, n’avait-elle pas recueillie Marinette, la fille de son frère? (En CM1, Monsieur Petit nous avait fait apprendre les préfectures des départements français et j’avais trouvé un moyen mnémotechnique pour me souvenir de celle de l’Ille-et-Vilaine: Elle est vilaine, Reine).

Marinette Amalric était elle aussi un des personnages de la rue Lamartine. Elle s’occupait de René Bertrand et de ses sœurs Martine et Maryse. Elle les amenait à l’école et allait les rechercher. Elle s’occupait de la maison lorsque Reine était occupée par son commerce.

Arthur Rachel Rouanet habitaient à l’angle de la rue Lamartine et de la rue Danton. Deux caractères totalement opposés. Arthur, toujours content, Rachel toujours en pétard. Nous en avions peur car elle était assez colérique.

Chez Mathilde et Antoine Roig, c’était de rendez-vous des mémés esseulées. Elles étaient deux ou trois à venir chez eux pour regarder la télévision. Vers dix heures Antoine préparait de la tisane et la servait à toutes, puis il s’endormait sur une chaise, dans un coin. Son épouse essayait de l’envoyer se coucher mais il n’y consentait que lorsque l’émission était terminée et que toutes les « invitées » étaient rentrées chez elles

Lorsque l’on parle des enfants de la rue Lamartine, il ne faut pas oublier que cette rue drainait les enfants de la rue Barbès, de l’impasse Renan, de la fin de la rue Gambetta, de la rue Arago, du début de la rue Danton, de l’impasse Chanzy, de la rue Thiers, du bas du pont et même de derrière le pont. Le point de rendez-vous se situait au carrefour de la rue Lamartine et de la rue Danton car il y avait deux points d’eau : une fontaine avec l’eau de la ville après la vitrine de la boucherie Escarguel et une pompe à roue à l’angle de la rue. Lieu de jeux d’eau l’été, disputes pour tourner la roue et courses de bateaux dans les caniveaux les jours où la mairie ouvrait les bouches à eau pour nettoyer les rues.

Bien sûr, en grandissant, notre périmètre de jeux s’étendait dans les rues environnantes, au bord de la rivière et puis, il y a eu la « forêt vierge »…