Il est une rue du vieux village dont le nom pose problème aux touristes, aux nouveaux sérignanais et même parfois aux anciens: la rue des salanquiers.

Qui sont salanquiers, pour avoir donné leur nom à une rue? S’il y en avait encore ils pourraient nous le dire mais hélas il n’y en a plus. Ils sont même inconnus du Petit Larousse. On peut quand même imaginer qu’il s’agit d’un métier.
Qui connaît la région peut essayer le rapprochement entre salanquier et la salanque de la ville de Saint-Laurent-de-la-Salanque dans les Pyrénées Orientales.
Mais alors qu’est-ce qu’une salanque toujours inconnue des dictionnaires de la langue française ?
Si c’est un vieux mot, essayons en occitan. Bonne idée car en occitan, « una salanca » (prononcer uno salanco) est un terrain salé. On peut en déduire qu’un salanquier est une personne qui vit ou qui travaille dans un terrain salé.
Des terrains salés, ce n’est pas ce qui manque à Sérignan du côté de la Maïre et des Orpellières.
Éliminons le ramassage du sel. S’il y a eu à Sérignan des marais salants, c’était il y a fort longtemps
et on aurait parlé de saulniers et non de salanquiers.
Dans ces terrains où rien ne peut être cultivé à cause de la salinité du sol pousse naturellement une plante comestible maintenant protégée. Sa jeune pousse, tendre peut être mangée en salade ou comme des cornichons. Les bretons en font des crèpes. Elle est aussi un excellent antiscorbutique.
C’est la salicorne que les anciens nommaient la salicor.

Cette plante était elle à l’origine d’une activité assez importante pour que ceux qui la pratiquaient aient donné leur nom à une rue?
C’est dans les comptes de Madame de Poulpry, dernière seigneuresse de Sérignan que nous allons trouver un début d’explication.
Un document de 1778 qui étudie le rendement des graines fournies à son fermier de Sérignan mentionne:
Produit | Quantité semée | Rendement | Récolte espérée | Prix unité | Recette espérée |
---|---|---|---|---|---|
salicorne | 20 sacs | 2 quintaux pour un sac | 40 quintaux | 9 Livres | 360 Livres* |
En 1778 à Sérignan, le quintal vaut 41,465 kg – le kg de salicorne coûtait environ 4, 3 sols. Un travailleur gagne de 1 Livre (20 sols) à 1,25 Livres (25 sols) par jour, et 1kg de mouton valait 13 sols 2 deniers ).
*360 Livres était un petit revenu comparé aux 15 576 Livres rapportées par le blé.
Utilisation de la salicorne
Au XVIIIème siècle on semait donc la salicorne pour en tirer profit. Comme je ne pense pas que la population sérignanaise ait mangé en salade toute la récolte ou l’ai utilisée se protéger du scorbut, elle devait être vendue. Mais à qui et pour faire quoi ?
Par incinération et lavage de ses cendres, la salicorne donne une grande quantité de soude. Cette soude était utilisée autrefois pour fabriquer le savon et le verre.
La salicorne a aujourd’hui plusieurs utilisations non alimentaires intéressantes. Voici quelques-unes:
- Cosmétiques : La salicorne est utilisée dans certains produits de soins de la peau en raison de ses propriétés hydratantes et apaisantes. Elle est riche en antioxydants, ce qui en fait un ingrédient bénéfique pour les crèmes, les lotions et les sérums.
- Phytorestauration : En raison de sa capacité à tolérer des niveaux élevés de sel, la salicorne est utilisée pour la restauration écologique des terres salées et des zones côtières dégradées. Elle aide à stabiliser les sols et à réduire l’érosion.
- Biocarburants : La salicorne peut être utilisée pour produire des biocarburants. Sa biomasse peut être convertie en bioéthanol, ce qui en fait une source renouvelable d’énergie.
- Engrais et amendement du sol : La plante peut être utilisée comme engrais naturel pour enrichir les sols en nutriments. Elle aide à améliorer la structure du sol et à augmenter sa capacité à retenir l’eau.
- Fabrication de papier : La salicorne est parfois utilisée dans la fabrication de papier en raison de sa teneur élevée en cellulose. Cette utilisation permet de réduire la dépendance aux arbres pour la production de papier.
Les salanquiers et la salicorne dans les archives
Revenons à l’époque où les salanquiers vivaient dans la rue qui porte leur nom, au XVIIIème siècle et sans aucun doute avant.
Il est certain qu’ils en vendaient pour faire du savon. En 1727, l’émoi est grands dans la communauté. On vient d’apprendre, qu’à la demande des marseillais, le roi interdisait l’usage de la salicor (salicorne) dans la fabrication du savon de Marseille:

L’an mil sept cens vingt sept et le douxieme jour du mois de février dans lhostel de ville du lieu de sérignan […] le sieur Brousse Second consul a dit et représente que quoy que par larticle 3° du règlement général fait par sa majesté le 5 octobre 1688 au sujet des manufactures a facon du royaume il soit fait mention des matières quil est deffendu des employes et quen cest estat toutes les manufactures a facon deussent rester dans la tranquillite
neanmoins les fabriqueurs a facon de la ville de marseille jaloux sans doute des manufactures a facon de cette province et en vue de sapropier en plus grand profit auroient fait agir les echevins et deputes de la chambre de commerce de ladite ville de marseille et ceux cy par un vain pretexte pretendent que dans la composition du savon il ne doit entrer que lhuille dollive et de la cendre du levant seulement a cause quils ont la faculté d’en avoir en abondance ils auroinet demandé a sa majeste linterpretation dudit article 3° dudit reglement et qu’il soit defendu dans toutes les manufactures a facon du royaume dy employer du salicor de sorte que sy la pretention desdits echevins estoit authorizee cella causeroit entierement la ruine totalle de ce lieu parce que la plus grande partie des terres ne peuvent recevoir autre semence que du salicor et cette recolte venant a estre detruite par la non consommation il est certain que cela mettra cette communauté non seulement dans l’impossibilité de pouvoir payer les dniers royaux mais encore […]
Sur quoy les voix recueillies a esté unanimement délibéré et arresté […] la communauté supplie monsieur de […] ; sindic general de cette province de vouloir la secourir dans cette occasion et de vouloir fere ses tres humbles remontrances au roy ou a nos Seigneurs les Etats afin de prevenir la ruine totalle de ce lieu quy seroit causé par le deffaut de lemploy du salicor […]
Nombreux ont été les hommes à signer cette demande. Certains y retrouverons leurs aïeux :
Le résultat de cette demande n’est pas connu, mais certainement négatif (le pot de terre contre le pot de fer). Il ne restait aux salanquiers plus que le verre.
Depuis les temps immémoriaux comme disaient nos anciens, le verre était fabriqué dans l’arrière pays dans les régions boisées du Saint-Ponais, le village des Verreries-de-Moussans en est un témoignage.
Les maîtres verriers récupéraient du sable, fabriquaient du charbon de bois en utilisant le bois des forêts où ils habitaient et achetaient la salicor. Cette pratique utilisant énormément de bois à conduit le roi à interdire d’utiliser le charbon de bois pour chauffer les fours, ce qui a causé la mort de cette activité et celle des salanquiers.
Ils auraient pu être sauvés si la communauté avait accepté une proposition à caractère industriel faite en 1759. Une compagnie (société) voulait faire cultiver la salicorne dans les plages depuis le rhône jusqu’à Narbonne pour en extraire la soude et faire des pains de verre vendus aux verreries du royaume. Les communautés riveraines toucheraient le 30ème du produit des terrains et des emplois seraient créés.
La réponse des sérignanais n’a pas été celle attendue par les promoteurs: le 11 septembre 1759, réunis en assemblée estimant que par une transaction de 1457 ils étaient propriétaires des herbes de la plage, que n’ayant d’autre endroit où aller faire paître les bestiaux,cette herbe étant la seule disponible ils votent contre cette proposition (voir archives départementales de l’Hérault,
299 EDT 90, photos 20 et suivantes).
Ni savon ni verre, il ne restait plus rien pour nos salanquiers.
Que sont-ils devenus? En 1836, dans le premier recensement il n’y en a plus aucun. Certainement, ils sont devenus pêcheurs car en 1856, la rue des salanquiers est coccupée par des familles de pêcheurs.
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