Souvent, lors de rencontres amicales ou familiales, parlant du temps passé, venait le sujet des familles d’autrefois.
Elles étaient disait-on, nombreuses et même très nombreuses. Les enfants mourraient jeunes et beaucoup de femmes décédaient lors de l’accouchement.
“nombreux”, “beaucoup”: comme précision on fait mieux et personne n’était capable de donner des chiffres, on connaissait quelqu’un qui connaissait quelqu’un… qui avait eu beaucoup d’enfants.
Et vous, qu’en pensez vous?
Quel est, d’après vous, le pourcentage de femmes qui, autrefois mouraient en couches?
Combien y avait-il de familles de 10,11,12,13,14, 15 enfants ou plus?
Qu’en était-il exactement sur Sérignan?
Si la mortalité des enfants en bas âge ne fait aucun doute, elle a fait l’objet de nombreuses études. Pour le reste je ne sais pas.
J’ai donc décidé d’étudier les décès en couches et les familles nombreuses sur notre village Sérignan.
La méthode
D’abord, j’ai relevé sur les registres paroissiaux, puis d’état civil toutes les naissances (11376) depuis 1696 (inclus) jusqu’en 1899 (inclus) soit 202 ans, moins les 4 années manquant dans les registres 1748-1749-1750-1751 soit 198 ans.
Le choix de ces dates est tout à fait arbitraire. Il est possible de trouver dans les archives municipales de Sérignan les registres paroissiaux à partir de 1591 mais ils sont pour les premiers soit difficiles à déchiffrer sans risquer de nombreuses erreurs sur les patronymes, soit incomplets.
J’ai donc décidé de débuter par celui numéroté 1 MI EC 299/3 pour les années 1695 à 1703. Ensuite j’ai commencé par le début de l’année 1696 (photo 4). Pour le choix de fin 1899 comme fin de l’étude c’est simplement parce que c’était la fin du siècle.
Après chaque naissance, j’ai vérifié si la mère vivait après l’accouchement et, en cas de décès, le nombre de jours séparant les deux événements.
Ensuite, j’ai trié et classé les mères (3835) en y ajoutant chacun de ses enfants. Puis j’ai sélectionné les mères de 5 enfants et plus, considérant que ce nombre pouvait être celui d’une famille considérée comme très nombreuse. Puis classé.
Les erreurs
Elles peuvent avoir de multiples raisons, en particulier:
L’impossibilité de lire quelques actes ou portions d’actes en raison de taches, mauvaise qualité de l’encre qui a blanchi, de la plume qui fait une écriture trop épaisse, du papier traversé par l’encre.
L’orthographe qui n’est pas fixée et qui peut varier pour le même patronyme quelquefois dans le même acte ALENGRI- ALENGRIN-ALINGRI-ALENGRY ou encore BELLAVAL qui devient BELLABAL. Il faut alors, pour ne pas se tromper de famille, rapprocher du nom de la mère celui du père.
La forme des lettres peut entraîner confusion: ex le U ou le N de DOUMAIRON et DOUMAIROU.
Cette confusion peut aussi s’expliquer par le fait que, si le curé écrivait en français ses paroissiens parlaient en occitan et qu’alors, quand on prononce DOUMAÏROU on peut écrire DOUMAIRON.
Les erreurs dans les comptages peuvent venir tout simplement d’oublis de ma part lors de retranscriptions.
Vu le nombre d’actes relevés (11 376) ces erreurs n’ont certainement qu’une influence négligeable.
Les décès suite aux couches
N’étant pas médecin, j’ai cherché sur internet pour trouver la définition de la mortalité post natale suivante :
Le taux de mortalité maternelle est un indice statistique de la mort maternelle. Il exprime le rapport entre le nombre de femmes décédées à la suite de conséquences obstétricales directes ou indirectes pendant leur grossesse ou lors des 42 jours après l’accouchement et le nombre de naissances vivantes. Ce taux est calculé sur une année.
Wikipedia
Ni dans les registres paroissiaux ni dans ceux de l’état civil n’est mentionnée la cause du décès. Il n’est donc pas possible de savoir si une femme décède pendant sa grossesse, ce qui rends impossible toute comparaison avec les statistiques actuelles.
Dans cette étude il n’est question que des décès après naissances. Je n’ai retenu que le délai de 42 jours et établi le tableau suivant :
Jour après | Nbre | Jour après | Nbre | Jour après | Nbre | Jour après | Nbre |
jour même | 5 | 11 jours | 1 | 22 jours | 0 | 33 jours | 0 |
1 jour | 5 | 12 jours | 6 | 23 jours | 0 | 34 jours | 0 |
2 jours | 4 | 13 jours | 0 | 24 jours | 1 | 35 jours | 1 |
3 jours | 2 | 14 jours | 1 | 25 jours | 0 | 36 jours | 0 |
4 jours | 3 | 15 jours | 2 | 26 jours | 1 | 37 jours | 0 |
5 jours | 2 | 16 jours | 0 | 27 jours | 1 | 38 jours | 0 |
6 jours | 2 | 17 jours | 0 | 28 jours | 2 | 39 jours | 0 |
7 jours | 5 | 18 jours | 0 | 29 jours | 0 | 40 jours | 1 |
8 jours | 5 | 19 jours | 2 | 30 jours | 0 | 41 jours | 3 |
9 jours | 4 | 20 jours | 1 | 31 jours | 0 | 42 jours | 0 |
10 jours | 1 | 21 jours | 0 | 32 jours | 1 |
Soit 62 décès de mères sur 3836 naissances, donc 1,61% de décès en couche.
A titre de comparaison:
- Le médecin et statisticien Sigismund Peller (1890-1985) a recensé les cas de mortalité maternelle, pour les femmes de familles régnantes de l’Europe du XVIe au XIXe siècle et signale un taux de mortalité voisin de 2% (i.e. 2000 décès pour 100 000 naissances) entre le XVIe siècle et la première moitié du XIXe siècle, le taux étant voisin de 1,5 % dans la seconde moitié du XIXe siècle.
- Une étude menée sur la population de Genève du XVIIe siècle conduit à évaluer le taux de mortalité à 15 décès pour 1000 naissances (1500 décès pour 100 000 naissances, donc 1.5%). (source : Wikipedia).
Ces études ont une conclusion voisine de la mienne, dans des régions autres, indiquant que Sérignan n’a pas une mortalité postnatale différente d’autre localités d’Europe de l’ouest.
Les familles nombreuses
Sur les 198 années étudiées, 3836 mères ont eu 11 376 enfants et des familles de 1 à 14 enfants.
Il aurait fallu pouvoir apporter des rectificatifs pour les raisons suivantes :
- Femmes de villages extérieurs venus accoucher à Sérignan
- Epouses de fonctionnaires (surtout douaniers) ayant pu avoir ailleurs des enfants avant ou après leur affectation à Sérignan.
L’INSEE retient le nombre de 3 enfants pour constituer une famille nombreuse.
J’ai pris le nombre de 5 enfants comme base et considéré qu’il s’agissait là de familles très nombreuses et obtenu le tableau suivant :
149 | mères ayant | 5 | enfants = | 745 | enfants soit | 3,88% | des naissances |
170 | ‘ ‘ | 6 | ‘ ‘ | 1020 | ‘ ‘ | 4,43% | ‘ ‘ |
107 | ‘ ‘ | 7 | ‘ ‘ | 749 | ‘ ‘ | 2,78% | ‘ ‘ |
75 | ‘ ‘ | 8 | ‘ ‘ | 600 | ‘ ‘ | 1,95% | ‘ ‘ |
30 | ‘ ‘ | 9 | ‘ ‘ | 270 | ‘ ‘ | 0,78% | ‘ ‘ |
20 | ‘ ‘ | 10 | ‘ ‘ | 200 | ‘ ‘ | 0,52% | ‘ ‘ |
10 | ‘ ‘ | 11 | ‘ ‘ | 110 | ‘ ‘ | 0,26% | ‘ ‘ |
8 | ‘ ‘ | 12 | ‘ ‘ | 96 | ‘ ‘ | 0,20% | ‘ ‘ |
2 | ‘ ‘ | 13 | ‘ ‘ | 26 | ‘ ‘ | 0,05% | ‘ ‘ |
1 | ‘ ‘ | 14 | ‘ ‘ | 14 | ‘ ‘ | 0,026% | ‘ ‘ |
14,9% de mères ayant accouché à Sérignan ont eu 33,66 % des enfants nés à Sérignan.
Aviez vous les mêmes pourcentages dans l’idée que vous vous faisiez de ces deux sujets? Personnellement, je les pensais plus élevés.
René Vidal
Membre de l’association Histoire de Sérignan