Sérignan, mon village, je n’ai pas oublié !

Un petit enfant raconte les années 30. Marcel Piazza, fils de Pascal, mort pour la France.

« Sérignan, le village où je suis né un jour de décembre 1933 et où je suis resté jusqu’au début de la guerre. Mes grands-parents maternels s’appelaient Germain et Marie-Jeanne Barbel, née Sauzet, tous deux Sérignanais de souche. Ils n’eurent qu’une fille, Pierrette, ma mère. Côté paternel, Marie-Thérèse et Vincent Piazza, tous deux venus de Cétraro (Italie), au début du XXe siècle, parents de Pascal, mon père. »

Ce texte, écrit par Marcel en langue d’Oc, a été traduit très scrupuleusement par les élèves du groupe occitan CFPO sérignanais et leur professeur Cati. La première partie est publiée ici. La seconde le sera prochainement!

Les fêtes

Il y avait la cavalcade avec des chars décorés et surtout un camion-citerne recouvert d’une peau de chameau et d’une banderole avec l’inscription « le chameau de Béziers ».

Henri sur le pont, fin des années 30.

Le jeu du petit chapeau se déroulait sur la rive de l’Orb, près du pont. Je me souviens d’un mât savonné, incliné au-dessus de l’eau et décoré de drapeaux. De jeunes hommes essayaient en vain de l’escalader à califourchon. Cela finissait presque à tous les coups par un plongeon qui faisait le bonheur des badauds. D’autres coursaient les canards.

Le jeu du petit chapeau
Le jeu du chapeau, sur l’Orb, au pieds du pont.
Au premier plan, le mat savonné sur lequel on plaçait un chapeau à l’extrémité.
A l’arrière plan, la cheminée d’une ancienne distillerie, aujourd’hui disparue.

Les marchands ambulants

L’étameur, souvent accompagné d’un chien galeux, venait poser son chaudron à la promenade du Pont et nous amusait. Il réparait aussi les chaudrons. La vue du feu de bois et de l’étain fondu, nous fascinait. Pour nous, cet homme était un magicien !

Le ramoneur passait dans les rues à la mauvaise saison, en criant très fort : « Ramoneur de cheminées, de haut en bas ». Quelques fois, un enfant aussi noir que lui, l’accompagnait. On l’entendait de loin, parce qu’en se déplaçant, il traînait toujours beaucoup de cercles de fer, attachés sur ses épaules, qui faisaient beaucoup de bruit. Il portait aussi des cordes enroulées autour de sa poitrine. Comme il n’y avait pas de cheminée chez nous, je ne l’ai jamais vu au travail.

Le marchand de biscuit : Un homme passait devant la porte avec sa camionnette en criant : « venez, venez, mes petites Dames, venez goûter les biscotins de Bédarieux ».

Le chemin de l’école

Notre maison se trouvait au bout de la rue Lamartine, face à la rue Gambetta qui va vers la promenade centrale, donc assez loin de l’école. Combien de fois j’ai suivi ce chemin avec mon cartable sous le bras ?

Ce chemin était celui des odeurs ! En premier, celle des draps étendus devant la porte de ma voisine Eugénie qui était repasseuse. Un peu plus loin, c’était celle du pain chaud du matin qui nous chatouillait le nez, devant la boulangerie. Puis, passé la promenade et la route de Valras, il y avait une boutique d’où s’échappaient des odeurs de bonbons. Je me souviens d’avoir acheté quelques fois ce qu’on appelait « coco », dans un tube de verre. Au printemps c’étaient les petits plants de tomates qui délivraient leur odeur si particulière quand on les écrasait entre les doigts. Mon oncle « Néné », de 5 ans mon aîné, m’attendait en chemin et nous allions vers l’école, lui à celle des Grands et moi encore chez les Petits.

Au retour, nous faisions parfois un détour vers la maison de Papé Vincent et Mamé Thérèse pour passer un moment ensemble.

La vie dehors

Le matin, c’était le passage des femmes qui allaient vers les communs avec un seau hygiénique à la main. Elles croisaient en chemin les lavandières italiennes avec leur panier à linge sur la tête. C’était l’occasion de parler dans un occitan mélangé. Comment faisaient ces femmes pour se déplacer dans les rues, les mains sur les hanches et leur panier en équilibre sur la tête ? Cela me fascinait ! Puis, c’était le tour de l’éboueur qui passait avec son charreton, sa pelle et son balai pour ramasser le fumier que les chevaux avaient semé sur leur passage.

Je n’ai pas oublié aussi le bruit des charrettes et des fers sur le goudron quand ils passaient devant la porte. Le conducteur, toujours assis sur le côté, les jambes à l’extérieur, avec son casse-croûte à l’épaule, souvent une poignée de « loupines », graines de lupin, qu’il mâchonnait en chemin.

Je me souviens d’une boulangerie, rue Saint Jérôme, à côté d’un porche, où lorsqu’il avait beaucoup plu, on farfouillait dans la rigole pour espérer trouver, par chance, des pièces de monnaie. Un ami qui habitait Sauvian, nourrissait des lapins et des cochons d’Inde (dont le véritable nom est porc marin) dans un clapier. Je passais des moments agréables à jouer avec ces jolies bêtes, sans savoir qu’elles étaient engraissées pour passer à la casserole !

Les jeux de la rue

Les Petits jouaient souvent au cerceau qui se conduisait avec une bûche en bois. Les aînés utilisaient plutôt une roue de bicyclette qui se conduisait avec un fil de fer crochu, appelé « manille ». Cela faisait un bruit incroyable. Quand nous courrions dans les rues avec mes voisins Michel et Marcel, les Vieux du quartier n’appréciaient pas notre passage et criaient ; « Allez faire votre boucan ailleurs ! ».

Les filles jouaient à la ronde dans l’impasse Renan, jeu tranquille où elles chantaient : « Marie Pompon la vieille ». Cette pauvre femme faisait chaque jour de la semaine un travail différent, en tremblotant, jusqu’à sa mort. Je me rappelle un autre jeu : il s’agissait de creuser un trou dans la terre, déposer des petites pierres autour et couvrir avec un verre.

Puis, trouver quelques bestioles, escargots, sauterelles ou limaces pour les y enfermer : on appelait ça « faire une lucarne ».

Cela se déroulait au fond d’une impasse où habitait une petite voisine dont le surnom était « Ninette ». Où peut-elle être en ce moment ? Quelques fois, on allait se promener à la campagne. On ne manquait pas de s’arrêter auprès d’un arbre, « le bouteillous », pour nous gaver de ses pommettes rouges. Puis nous allions vers le cimetière où les filles ramassaient des perles dans les déchets de gerbes, pour faire des colliers, des bagues ou d’autres bricoles. Il y avait aussi, proche de là, une sorte de magasin où les cages à poules s’amoncelaient contre un mur. Le propriétaire était un vieux garçon que les voisins appelaient « Jean des poules ».

Les marsouins

Ce jour-là il y avait un monde fou sur le pont, car les marsouins remontaient l’Orb. Les hommes, armés de fusils tiraient sur les poissons qui passaient dessous. Il y avait de nombreux blessés qui gigotaient dans l’eau rougie de leur sang. Ils me paraissaient énormes, peut-être parce que moi j’étais petit. Le bruit des fusils et la vue de ce carnage ont beaucoup marqué ma mémoire d’enfant. Ce jour-là, j’ai découvert la violence ! Mon cousin Milou qui était pêcheur à Valras, m’a dit que ces poissons n’étaient pas les bienvenus, car ils faisaient de gros dégâts dans les filets des pêcheurs pour s’en échapper.

Dans la maison

Ma grand-mère Marie-Jeanne était joyeuse et chantonnait toute la sainte journée, des chansons de son chanteur préféré, Tino Rossi, qu’elle avait baptisé « Toti Rossi ». Parfois, elle nous offrait « Votre buffet Madame, a besoin d’arranger » (chanson de carnaval : « la buffetière »). D’autres fois, c’était une autre chanson que je n’ai pas oubliée, mais je ne vous le dirai pas, car il s’agissait d’un couple d’amoureux du quartier et de la promenade du pont. Ou encore celle qui narrait la mésaventure d’une vieille voiture et d’un marchand de maquereaux, « la voiture à Tapi ». Quelques fois, quand je faisais des bêtises, elle haussait la voix et criait : « vas traçar, pitchot » (je vais te taper, petit), mais elle ne levait jamais la main.

Il n’y avait pas encore l’eau à la maison et j’allais la chercher avec une cruche jaune, à la fontaine qui était au coin de la rue des notaires. Un jour, je me suis embronché au trottoir et le pichet revint à la maison, ébréché. Malgré cette mésaventure, je l’ai vu durant de nombreuses années, trôner sur la table de la cuisine. Il y avait aussi une fâcheuse habitude que les enfants n’appréciaient pas : les poux ! Le but était de les rechercher, de les faire tomber sur une feuille de journal que Mamé posait sur ses genoux. Puis, elle me faisait baisser la tête et me passait les cheveux au peigne fin. Elle n’oubliait pas de les écraser entre ses pouces, « tue poux », c’est ainsi qu’on les appelait. Il n’était pas possible de passer par maille !

La suite dans un prochain article!

(2 commentaires)

  1. La suite de l’enfance de Marcel n’a pas été possible dans le magazine de juillet, car le programme était trop chargé.
    J’espère obtenir une petite place la prochaine fois.
    Mais que personne se désole! Marcel est solide et a appris à attendre.
    JPB

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