Les Pinkas, le destin tragique d’une famille juive polonaise

Ceci est la retranscription de l’article paru en mai 2011 dans le journal municipal “Sérignan Cœur du Sud”.

En 2011, grâce à l’initiative des élèves de la classe de 3èmeC du collège Marcel Pagnol auprès d’André Vézinhet, Président du Conseil Général, le souvenir de la famille Pinkas, réfugiée dans notre cité en 1940, arrêtée, déportée et décédée en camp d’extermination en 1942, est remis à l’honneur. Suite à l’article paru dans le bulletin municipal de septembre 2010 et dans la presse, l’association Histoire de Sérignan a reçu des sérignanais Arlette Deleuze et Félix Gualano. Nous les reproduisons en intégralité ci-dessous.


Arlette :

Je me rappelle très bien des Pinkas. Quand ils sont arrivés de Belgique ils habitaient rue Barbès dans le village, puis sont allés dans la “rue de l’église” (rue nationale rebaptisée Rue du 11 Novembre)(voir extrait du plan cadastral de Sérignan) en face la “campagne Michou” dont il reste encore le grand portail (actuellement les Rives de l’Orb). Depuis que mon père était prisonnier en Allemagne, nous habitions chez Monsieur Michou, mes grands parents travaillaient pour lui, papet était le ramonet. Quelques mois plus tard, à l’arrivée des allemands la campagne sera réquisitionnée. Après nous avoir chassé ils en feront “la Kommandantur”!

Arlette Deleuze

Monsieur Michou et sa famille étaient très gentils et respectueux envers le personnel contrairement à certains riches propriétaires du village. Depuis cette époque, le quartier a bien changé, mais le bâtiment où vivaient les Pinkas existe toujours bien qu’il ait subi lui aussi quelques transformations. Il se situe à droite du magasin de motos. C’était une remise qu’il fallait traverser pour accéder au fond à une petite habitation. C’est là qu’ils ont vécu quelques mois jusqu’à leur arrestation! Le propriétaire était de Béziers et possédait quelques vignes à Sérignan; de temps en temps, on le voyait arriver par le tramway avec son panier en osier contenant le repas de midi.

Mon grand père disait du père Pinkas, Hersch, “il ne parle pas, il se cache”. Hersch faisait des journées à droite, à gauche, ce qu’il trouvait pour arriver à nourrir sa famille.

Félix :

Au village, nous arrivions à nous en sortir, plus ou moins, entre le jardin et la vigne. Mais eux… ils n’avaient rien ou pas grand chose!

Peuchère… on les plaignait! Tant que les allemands n’étaient pas descendus jusqu’ici, on les secourait comme on pouvait. Ils ne pouvaient rien faire (loi de Vichy sur les restrictions de travail des juifs). Alors on les prenait avec nous à la vigne. Mais ils ne connaissaient pas ce travail rude, physique, et puis surtout ils ne mangeaient pas toujours à leur faim.

Félix Gualano

Fin 40, d’un seul coup, on n’avait plus rien à manger, là çà était dur! Tout le monde était surpris et ça a duré un an, toute l’année 41. Ensuite sont arrivés les tickets de rationnement. Alors là, ça n’a pas été triste : magouilles et compagnie. Cela a duré 10 ans !

Pendant le sulfatage, je me rappelle quelquefois, l’un d’eux tombait avec la machine sur le dos. On le relevait en lui disant “Té! Assieds-toi Ià et reposes-toi, on va te finir la rangée ». La vie était rude pour tout le monde mais encore plus pour eux, je crois.

Arlette :

Mon grand père de temps en temps donnait au père Pinkas des légumes du jardin ou parfois lorsqu’il tuait un lapin, il voulait lui en donner un morceau refusait, il n’en voulait pas ! Avec le recul, je comprends mieux à présent pourquoi.

Son épouse, Brandla, sortait très peu, s’occupant de son dernier enfant trisomique, Salomon qui devait avoir trois ans. Il criait souvent pour ne pas dire tout le temps. Il fallait le surveiller en permanence. D’ailleurs son père avait confectionné une barrière autour de la cheminée car il était irrésistiblement attiré par le feu.

Sa sœur, Marie Thérèse, l’ainée, avait mon age, 10 ans. On était le l’école dans la même classe, a la récréation, on s’amusait ensemble. Elle était très gentille mais souvent triste, très réservée. Elle parlait peu en dehors de son entourage. Elle devait avoir des problèmes de vue car chaque fois qu’elle allait à l’extérieur, elle mettait la main sur le front, comme pour atténuer la luminosité.

En étant voisines, on jouait quelquefois ensemble. A ce sujet, un jour, une vieille fille qui fréquentait régulièrement l’église, habitant rue Hoche, tout à côté de chez nous, est allé interpeler ma mère: “Vous n’avez pas honte de laisser trainer votre enfant avec une juive?!”. Le sang de ma mère n’a fait qu’un tour, la réponse ne s’est pas faite attendre: “C’est une enfant comme les autres. Et puis, que chacun balaie son devant de porte avant d’aller critiquer celui des autres!!!”

Cette brève mais explicite discussion avait permis de remettre les pendules a l’heure. Malheureusement, d’autres gens du village pensaient la même chose, allant bien plus loin parfois que des paroles cruelles! On n’allait pas attendre longtemps pour en avoir la preuve.

De gauche à droite: Hersch, Brendla et Thérèse. Nous n’avons aucune photo de Salomon.

Félix :

Suite à la rafle des juifs sur Paris (du 16 et 17 juillet 1942, Vél-d’Hiv), les gendarmes du coin nous avaient avertis: “attention aux rafles, méfiez-vous!!!!”. On essayait de les planquer en les prenant avec nous afin de les confondre avec la population sérignanaise, aussi bien les adultes que les adolescents, avec qui on s’entendait très bien. Le gros problème était qu’on ne savait pas quand cela allait arriver!

Et puis, un jour d’été 42, en pleine après midi… On était sur la Promenade en train de discuter tranquillement à l’ombre des platanes, lorsque tout d’un coup, surgirent des motos, des tractions-avant et un fourgon, des gendarmes partout, bloquant aussitôt tous les accès.

– “Oui? Merde, mais qu’est-ce qu’il se passe???”

– “Allez! Vous rentrez tous chez vous et que personne ne sorte!!!”

Nous, les jeunes, on avait 20 ans. On connaissait par cœur toutes les ruelles du village. On a fait semblant de rentrer à la maison pour mieux revenir plus loin, avec prudence toutefois, car l’heure n’était guère à la plaisanterie! Là, on a été stupéfait. On a assisté à des scènes… incroyables d’arrestation, plutôt musclées, de ces pauvres gens!

Je me rappellerai toujours cette pauvre petite sur son fauteuil roulant qu’ils ont frappée parce que ça n’allait pas assez vite. Nous, on disait “Mais c’est pas possible!!”. On n’en revenait pas!

Après avoir passé une rouste à une famille entière, ils ont les embarqués et allez : dans le fourgon!

Je crois bien qu’il y a eu trois rafles avant l’arrivée des allemands en novembre. A chaque fois ils opéraient de la même façon. “Les hommes aux chapeaux noirs”, les miliciens, procédaient aux arrestations. A l’extérieur, les gendarmes, secondés par un ou plusieurs sérignanais, surveillaient et sécurisaient le quartier afin qu’il n’y ait aucun témoin!

Les putes, ils étaient bien renseignés, ils ne se trompaient pas souvent d’adresse, même le Maire n’en revenait pas. Surement que l’aide qu’ils touchaient les a trahis mais pas seulement! Il y avait une équipe de “bandits”, de collabos à Sérignan. Attention les yeux ! Ils opéraient en cachette.

Arlette :

Le lendemain matin de la rafle du 26 août 42, papet me prit à part l’air profondément triste, ne sachant par où commencer !

“Tu sais, tu ne verras plus les Polonais. Hier, ils sont venus les chercher !!!”. Ayant du mal à contenir tant d’émotion, il continuait quand même. “Seul le père a pu se sauver par derrière en sautant le mur et surement en fuyant par le Pontil (petit ruisseau ouvert, lien entre l’Orb et les terrains inondables avec des pontets pour l’accès aux propriétés ou continuité des rues)”.

J’étais abasourdie subitement d’avoir perdu cette copine si gentille avec qui on s’entendait si bien! Deux jours plus tard, papet allait travailler en vélo pour la journée dans une des nombreuses vignes de Monsieur Michou qui était située sur la rive gauche de l’Orb, aux Orpellières. Quand on prend le chemin qui longe la rivière, il y a une grangette entourée de pins, une plus petite au bord de l’eau abrite une pompe pour arroser les terres (elle existe toujours). C’est là que le père Pinkas s’était caché. Reconnaissant papet, il sortit. Pauvre hom-me ! Après avoir partagé la « saquette », papet lui conseillait de ne pas rester ici, c’était bien trop dangereux ! Ce fut la dernière information des Pinkas.

Par la suite, papet me racontait souvent avec la larmette à chaque fois, cette histoire comme pour se libérer d’un poids trop lourd à supporter pour sa mémoire, pour son cœur. Ce n’est que bien plus tard en lisant le premier article sur les Pinkas (bulletin municipal n° 28 septembre 2010), que j’ai appris ce qu’il s’était passé après ! Mon Dieu, cela m’a profondément touché. Une famille entière anéantie, et ma copine, la pauvre Marie Thérèse morte à Auschwitz… Pourquoi ???


Notes des auteurs, Serge Cugnenc et Valérie Debuire:

  • Nous remercions du fond du cœur Arlette et Félix pour leur participation et leur complicité amicale et chaleureuse. Qu’elle puisse engendrer d’autres témoignages, souvenirs et documents sur bien des thèmes de cette époque à la fois si proche et si lointaine à bien des égards!
  • Les membres de l’association Histoire de Sérignan ont décidé de ne pas citer les personnes présumées avoir collaboré avec les allemands, directement ou indirectement, pour ne pas nuire aux descendants qui n’ont pas à supporter les actes passés supposés.

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