Marie de Sérignan – Un duel qui change tout

Dans ce nouvel article, René Vidal nous partage l’histoire de Marie de Sérignan.

Le 17 septembre 1625 noble fransois auger et de cavoy a prinse a fame noble marie de serinihan dans la chapelle du sieur de serinihan

Bessiere vicaire

Acte paroissiaux de Notre Dame de Grâce, Sérignan, 1625

Huit lignes sur le registre paroissial de N.D. De Grâce de Sérignan.
Huit lignes vieilles de bientôt 400 ans.
Huit lignes qui nous résument une belle histoire.

Fille de Guillaume De Lort et de Marie Bonnet de Maureilhan, Marie de Sérignan est de petite noblesse languedocienne. Guillaume est seigneur pour 1/3 de Sérignan, en totalité de Valras, Cers, Lebrettes (près de Narbonne) et autres lieux. Il mène une carrière militaire qui le conduit à vivre à Paris.

Peut-être l’aînée de onze frères et sœurs, Marie est âgée de 17 à 20 ans quand elle est mariée à Jean de La Croix, conseiller au présidial de Nimes (cour de justice de la sénéchaussée). Veuve après 2 ans de mariage, sans enfant, elle rejoint son père à Paris. Elle est jolie, spirituelle et assez riche1.

François Auger et de Cavoy, de petite noblesse, a quitté sa Picardie natale pour chercher fortune à Versailles. Sans doute recommandé par quelque parent, ayant certainement quelque talent, il devient chambellan du duc de Montmorency.
Comme beaucoup de jeunes nobles de son temps, il aime manier l’épée. Il fréquente la meilleure école en la matière chez Du Perche où il noue de solides amitiés.

La rencontre

Marie et François fréquentent la société de petite noblesse, ses fêtes et ses bals.
Au cours de l’un d’entre eux, Marie, en compagnie de plusieurs amies passe la porte menant à sa salle de bal. Son regard est attiré par un groupe de jeunes hommes descendant l’escalier, surtout par l’un d’entre eux.
François accompagné de joyeux compagnons, descend l’escalier menant au bal. Son regard est attiré par un groupe de jeunes femmes sortant du salon, par une d’elles en particulier.

Avant la fin de la dernière danse, Marie et François connaissaient celui et celle qui avait aussi brièvement fait naître un intérêt qu’ils espéraient réciproque.

Le duel

Bien qu’interdits par le roi, les duels étaient très prisés par ces nobles qui, mis à part la guerre, n’avaient aucune autre activité leur semblant digne de leur courage et la moindre occasion était bonne pour se défier. Les témoins, choisis par chaque partie, devaient aussi se battre entre eux. Il était donc préférable si on voulait conserver ses amis de choisir un témoin fine lame.
C’était le cas de François. Il lui fut demandé d’être témoin, il accepta volontiers.

Bien que fier d’aller se battre, une chose le chagrinait. Il allait peut-être mourir. Il n’en avait pas peur, mais il n’avait pas osé se déclarer auprès de Marie et, à présent, il n’avait plus le temps de le faire en respectant les règles de bienséance.

Une idée originale lui vint à l’esprit. Sur le champ, il se dirigea chez un notaire et fit rédiger son testament stipulant que, s’il était tué, il léguait tous ses biens à Marie de Sérignan.

Cela fait, il partit plus décidé que jamais, espérant toutefois transpercer son ennemi du jour. Chemin faisant il croisa une amie de Marie à qui il confia ce qu’il venait de faire, la priant en cas de malheur d’exécuter sa dernière volonté.

La demoiselle plutôt que d’attendre le résultat de la rencontre, se précipita chez Marie et lui livra le secret. Alarmée mais ravie, Marie fit prévenir son père qui dépêcha ses valets. Trop tard, le duel est fini… François est vivant.

Sérignan est en fête, Marie va épouser François. Dans la cour du château depuis peu remis à neuf2, à l’ombre de la tourelle, les tréteaux sont prêts pour installer les tables, les musiciens accordent leurs instruments, la fête va durer plusieurs jours.

Sur la place, devant le château, sérignanaises et sérignanais se pressent. Le marié va arriver. Plusieurs tonneaux sont mis en perce, on pourra boire jusqu’à plus soif.

Le seigneur est large avec l’argent de ceux qui vont boire. Guillaume est riche mais dépensier. Pour pouvoir payer les festivités, il a emprunté 7 000 livres à la communauté3.

Marie de Lort, veuve La Croix, est maintenant Marie de Cavoye.

Les époux rentrent à Paris.

Toujours au service de Montmorency, François est à nouveau choisi comme témoin. Cette fois, son adversaire est le comte de Valençay, la plus fine lame du royaume. Gravement blessé, François voit la mort de près mais cela va être le début de sa fortune.

Marie de Cavoye

Quelque temps plus tard, alors que le cardinal de Richelieu cherche une personne digne de confiance pour être capitaine de ses gardes, le comte de Valençay lui recommande Cavoye. Le rêve de François se réalisait, entrer dans la carrière militaire4.
Entre les campagnes militaires, dans leur hôtel rue des bons enfants ils mènent une vie heureuse toujours épris l’un de l’autre5.

Marie a déjà trois enfants. Huit autres suivront. Ces nombreuses maternités ne l’empêchent pas de mener une vie mondaine, de fréquenter les salons à la mode comme l’hôtel de Rambouillet ou de Mme de Richelieu. Son esprit vif et pétillant y est apprécié. Chez les précieuses elle est surnommée “Cassiopée”.

Cette vie idyllique prend brutalement fin au siège de Bapaume en 1641. Un boulet de canon blesse mortellement François.

Marie va devoir élever seule ses enfants puis leur trouver une place6. Ayant la confiance d’Anne d’Autriche, elle va devenir dame de la maison de la reine. Deux de ses enfants Charles et Louis auront la chance d’être élevés dans l’entourage du jeune roi7. Louis Oger de Cavoye connaîtra une certaine familiarité avec Louis XIV et sera grand maréchal des logis de la maison du roi. Sa vie est un véritable roman.

Marie de Cavoye meurt subitement en 1665.

Notes et références

  1. c.f. Historiettes de Telleyrand des Réaux.
  2. Dans l’inventaire des archives du château de Leran, comptes de 1513 présentés par le procureur du seigneur de Sérignan “en 1511 on reconstruisait le château de Sérignan sur l’emplacement de celui des de Prades.” Martin de Lort, grand-père de Guillaume avait épousé Marguerite de Prades seigneuresse de Sérignan pour 1/3.
  3. Contre le revenu de plusieurs droits jusqu’à leur remboursement qui tardera à venir causant pendant de très longues années de nombreux procès. La communauté n’y perdait pas mais ce sont les héritiers de Guillaume qui ont dénoncé l’arrangement.
  4. La fonction de capitaine-lieutenant de la compagnie des gardes du cardinal était des plus enviées. Il était le factotum de Son Eminence dans les affaires les plus délicates. Il fut promu à ce grade en 1629.
  5. Historiettes de Talleyrand des Réaux: “un jour que le cardinal lui demanda: qu’aimeriez vous mieux que M. de Cavoye mourût ou tout le reste du monde? J’aimeroît mieux que tout le monde mourût – Mais que feriez vous tous deux tous seuls? Nous ferions ce qu’Adam et Eve faisaient
  6. Quoique chargée de beaucoup d’enfants, elle fait si bien qu’elle subsiste honorablement. Elle a eu la moitié du don des chaises (à porteur)[…] cela lui vaut beaucoup[…] Elle a cinquante ans […] la gorge aussi belle qu’à quinze ans, elle n’a jamais eu le visage fort beau mais agréable […] pour le corps il n’y en avait guère de mieux fait.” – Talleyran des Réaux
  7. Le dictionnaire de Moreri dit, parlant de Louis : “il eut le bonheur d’être élevé auprès du roi Louis XIV, […]“, il fut grand maréchal de la maison du roi, fréquenta Racine, fit un court séjour à la Bastille pour s’être battu en duel. Sa vie est un vrai roman.
  8. Louis de Cavoye, en bas âge, entrait donc dans l’intimité du roi de plain-pied et au même titre que les fils des plus grands seigneurs. C’est ce qui lui aplanit tout à la cour dès sa première jeunesse…” – Saint Simon

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